La commission Prospective et innovation du CNB présente à l’assemblée générale des 6 et 7 septembre 2019 un rapport sur la notation des avocats sur Internet. Entretien avec son président et rapporteur, Louis Degos.
Les membres de la commission Prospective et innovation réunis au Conseil national des barreaux
[Mise à jour du 9 septembre 2019 : la présentation du rapport a été reportée au 11 et 12 octobre 2019]
Dans un contexte de méfiance d’une majorité de la profession à tout système de notation et de comparateurs, et alors que la Cour de cassation a rappelé que rien n’empêchait les tiers, qui ne sont pas tenus à la déontologie, d’y avoir recours, la commission Prospective et innovation du Conseil national des barreaux s’est penchée sur les enjeux de cette révolution numérique.
Elle présentera le compte-rendu de ses auditions avec experts et professionnels du digital ainsi que ses pistes pour faire face à ces nouveaux usages. Ses recommandations seront soumises au vote de l'assemblée générale des 6 et 7 septembre.
Quelques éléments en avant-première avec Louis Degos, président de la commission Prospective et innovation du CNB.
Une grande partie des avocats est opposée à tout système de notation ou de classement notamment mis en place par les legaltechs. Pour autant, la profession pourra-t-elle y échapper ?
LD : Une autre partie – substantielle – des avocats trouve un intérêt à être notés car la notation crédibilise et donne confiance. Le site avocat.fr n’a pas exporté le système de notation de la plateforme dont elle est issue et certains avocats qui y sont référencés dès l’origine affirment avoir perdu en visibilité. D’un autre côté ce n’est peut-être pas évident pour un site géré par le Conseil national des barreaux, institution professionnelle des avocats de France, de diffuser des notes et commentaires de clients, ou plus largement du public : certains avocats se trouveront encensés, d’autres critiqués…
Est-ce que ces appréciations subjectives seront parées d’une certaine officialisation ou authentification parce que figurant sur la seule plateforme institutionnelle de la profession, par rapport aux autres systèmes de notation de Legaltechs ? Est-ce le rôle du Conseil national ? Selon quelles modalités ?
Pour autant effectivement, personne n’échappe à la notation surtout lorsque le client peut être un peu « perdu » ou hésitant dans son choix… Cela ne veut pas dire qu’il faille subir ce phénomène de notation et qu’il soit absolument impossible de le contrôler et de l’encadrer. La notation en ligne par les clients, qui est celle traitée par le rapport de la commission Prospective et innovation, est une appréciation non professionnelle, sur des critères qui tiennent plus à la qualité de service qu’aux compétences ou à la technicité, difficilement appréciables par le profane (qui ne serait d’ailleurs pas crédible dans ces domaines).
C’est donc une note de satisfaction qui a vocation à rassurer un client ou un prospect qui sera plus volontiers sensible à l’expérience d’un de ses semblables pour avoir confiance dans tel ou tel avocat. Tout la question est donc de savoir ce qui est noté et selon quels critères.
Hôtellerie, restauration, transport, livraisons, autant de secteurs où la notation est devenue un critère de choix pour le public. En quoi le marché du droit doit-il être appréhendé différemment ?
LD : Le droit est un marché. Mais c’est un marché particulier en ce que le bien y circulant est un bien de confiance, non une marchandise. La prestation juridique n’est pas un objet de consommation comme un autre. Cet aspect en fait un marché spécifique car le service juridique (conseil ou défense) est à la fois une prestation de services mais aussi une garantie de sécurité juridique pour notre société et de liberté individuelle pour les citoyens.
Ceci étant dit l’offre en ligne et son corolaire qu’est la notation, ont toujours eu un impact sur les marchés concernés. Je me souviens que lors d’une audition, il nous avait été rapporté que le marché du tourisme s’était plus développé ces dix ou vingt dernières années que durant les cent années précédentes. Autre exemple : les spécialistes de la notation et de l’e-réputation constatent qu’avec une note inférieure à 3,5/5, un professionnel reçoit moins d’appel que s’il n’était pas noté. Il n’y a pas de raison qu’il en soit différemment pour les avocats : l’Internet créé un marché à la fois plus accessible mais aussi plus discriminant fondé sur la culture du « j’aime/j’aime pas ».
Comment la profession pourrait-elle tirer avantage de ces nouveaux usages numériques ?
LD : Le parcours d’acquisition de clients (selon l’expression consacrée) est mal connu chez les avocats du fait de la diversité des professionnels, de l’hétérogénéité des services, de la pluralité des matières… Il en résulte une asymétrie d’information : le client « profane » est un peu perdu et ne sait pas comment choisir le « bon » avocat. De même l’avocat ne sait pas vraiment pourquoi elle ou il a été choisi(e), si ce n’est par la bonne vieille méthode traditionnelle du bouche-à-oreille. Ces nouveaux usages ont nécessairement fait évoluer les choses, surtout le bouche-à-oreille qui est devenu sur les blogs et plateformes du « bouches à oreilles ». La notation de satisfaction, qui n’est pas une notation de performance professionnelle, relève plus de la publicité que de l’analyse. La profession a donc beaucoup à apprendre sur ces nouveaux clients et ces nouveaux moyens de rentrer en relation avec eux.
Mieux connaître le chemin pris par le client pour venir chez l’avocat, c’est un facteur de développement pour le cabinet de l’avocat et c’est aussi un moyen de repositionner le rôle de l’avocat par rapport aux besoins actuels de la société. Le numérique permet de mesurer et tracer les comportements des clients, la notation permet en plus de savoir ce qu’ils aiment ou pas, plutôt que d’y voir un frein certains pourraient y voir une aubaine.
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