14 avril 2025

LCB-FT : le CNB rejette l'interprétation du Conseil d'Etat visant à imposer à l'avocat une obligation de déclaration de soupçon généralisée

LBC-FT

L'assemblée générale du CNB a adopté à l'unanimité une résolution dénonçant l'avis du Conseil d'Etat du 23 janvier 2025 qui interprète de manière extensive l'obligation de déclaration de soupçon de l'article L. 561-15 du code monétaire et financier (CMF) en ignorant les modalités spécifiques d'assujettissement des avocats à la LCB-FT. Le CNB rappelle que l'obligation déclarative constitue une exception strictement encadrée au principe du secret professionnel protégé tant en droit interne qu'en droit européen.

Le 23 janvier 2025, le Conseil d'Etat, saisi par le Gouvernement, a rendu un avis qui interprète de manière extensive l'article L. 561-15 du code monétaire et financier (CMF) en considérant que « l'obligation déclarative porte aussi bien sur les sommes obtenues par la commission d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an, quelle que soit la nature de cette infraction, que sur les opérations portant sur ces sommes, ces dernières pouvant, le cas échéant, traduire des faits de blanchiment. »

Réuni en assemblée générale le 11 avril 2025, le Conseil national des barreaux a adopté une résolution rejetant à l'unanimité cette interprétation extensive de l'obligation déclarative sans considération de sa nature ni de son lien avec une opération de blanchiment ou de financement du terrorisme.

Le CNB estime que cet avis, rendu sans débat contradictoire par la formation administrative du Conseil d'Etat dans le cadre de l'article L. 112-2 du code de justice administrative et publié sur son site internet, ne saurait s'appliquer à la profession d'avocat, dans la mesure où il méconnait les règles spécifiques d'assujettissement qui lui sont propres, prévues par l'article L. 561-3 du CMF, ainsi que les garanties fondamentales attachées au secret professionnel. 

En effet, l'article L. 561-3, I et II du CMF énumère de manière limitative les situations dans lesquelles un avocat peut être assujetti à l'obligation déclarative et prévoit des exemptions, notamment pour les informations reçues dans le cadre d'une procédure juridictionnelle ou d'une consultation juridique qui n'est pas fournie à des fins de blanchiment. Dans ce périmètre strictement défini, l'obligation de déclaration constitue une exception au secret professionnel, protégé tant en droit interne qu'en droit européen. 

Bien que l'avis du Conseil d'Etat soit rendu au visa du Règlement (UE) 2024/1624 du 31 mai 2024, il omet d'analyser son contenu, pourtant d'application directe. Ce texte européen confirme que les avocats ne sont assujettis à l'obligation déclarative que dans certaines situations spécifiques, en lien avec des activités à risque clairement identifiées et réaffirme également, notamment aux articles 69 et 70 que le secret professionnel demeure la règle pour les avocats.

Le CNB rappelle dans sa résolution que l'interprétation du Conseil d'Etat est inopposable à la profession d'avocat, la déclaration de soupçon restant l'exception délimitée par le règlement 2024/1624 et la jurisprudence de l'Union européenne sur le secret professionnel. 

La résolution donne mandat au groupe de travail LCB-FT de poursuivre ses travaux d'analyse et de produire en argumentaire juridique détaillé à présenter aux pouvoirs publics et d'étudier l'introduction, au besoin, de toute procédure susceptible de faire prévaloir l'analyse juridique adoptée par la profession d'avocat.

Le CNB réaffirme aussi la volonté de la profession d'avocat de poursuivre son engagement dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, notamment avec la mise en place de dispositifs LCB-FT compatibles avec les droits fondamentaux, dans le cadre des orientations votées lors de l'assemblée générale du CNB du 5 avril 2024 et des textes applicables à la profession d'avocat, tout en poursuivant le dialogue avec les pouvoirs publics.