26 juin 2024

L’ordonnance provisoire de protection immédiate, nouvel instrument de protection des victimes de violences conjugales et intrafamiliales

Égalité

La loi n° 2024-536 du 13 juin 2024 renforçant l’ordonnance de protection et créant l’ordonnance provisoire de protection immédiate a été publiée au Journal officiel.

L’article 515-9 et suivants du code civil permet au juge aux affaires familiales (JAF) d'assurer dans l'urgence la protection des victimes de violences conjugales, s’il considère comme vraisemblables les faits de violence allégués et le danger auquel la partie demanderesse ou ses enfants sont exposés (y compris les femmes menacées de mariage forcés). Elle doit être prononcée « dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date de l’audience ». 

Cette ordonnance, créée par la loi du 9 juillet 2010 a, depuis sa création, fait l’objet de 4 modifications législatives. Malgré ces avancées, auxquelles la profession d’avocat a largement contribué, ayant permis de multiplier le prononcé de ces ordonnances et d’améliorer la protection des victimes et de leurs enfants, les violences conjugales et intrafamiliales perdurent à des taux élevés. Selon l’étude de 2023 du ministère de la justice, sur les 4 500 demandes par an en moyenne, 66 % ont été acceptées et 34 % rejetées, introduites majoritairement par des femmes (97 %), dont la moitié a moins de 39 ans. Dans 89 % des affaires, les victimes ont des enfants, le plus souvent mineurs (nés dans et hors union avec le défendeur). 

Améliorer la protection en urgence des victimes et de leur enfants confrontées à un danger imminent, telle était la proposition du plan « rouge vif » de mars 2023.

Renforcer les mesures provisoires de l’ordonnance de protection (OP)

  • Prolongation des mesures ordonnées : comme soutenu par le Conseil national des barreaux, notamment pour les situations très conflictuelles, la loi du 13 juin 2024 porte de 6 à 12 mois la durée des mesures de protection prévues dans l’ordonnance de protection. Elle rappelle également, comme s’évertuait à le souligner la profession, que l’ordonnance peut être prononcée même en l’absence de cohabitation, qu’elle ait ou non existée (art. 1 - 515-12 al 1 C.Civ.).

  • Confidentialité de l’adresse de la victime : les représentants de l’Etat ne pourront plus communiquer l’adresse de la personne protégée et de ses enfants à des tiers. Cette adresse sera également masquée sur les listes électorales dans des conditions fixées par décret (article 2).

  • Attribution de la garde des animaux de compagnie à la partie demanderesse (art. 1- art 515-11 3°bis nv. C.Civ.).

  • Mieux protéger les personnes menacées de mariage forcé : une ordonnance provisoire de protection immédiate, assortie d’une interdiction temporaire de sortie du territoire de la personne menacée, pourra être prononcée à sa demande et inscrite au fichier des personnes recherchées (art. 1 - art. 515-13. II nv. C.Civ.). 

Création de l’ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI)

La loi nouvelle introduit la possibilité de protéger dans les 24h00 une personne et ses enfants qui allègue de violences vraisemblables, confrontée à un danger grave et immédiat (art. 1 - art. 515-13-1. nv. C.Civ.).

  • Requête accessoire à l’initiative du ministère public après accord de la personne en danger : dans le cadre de la requête principale d’ordonnance de protection, introduite pas la victime, le parquet, avec son accord, pourra demander au JAF une OPPI « s’il estime, au vu des seuls éléments joints à la requête, qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger grave et immédiat auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés ».

  • Procédure sans contradictoire : l’OPPI, délivrée en urgence dans un délai de 24 heures, est une requête accessoire à la demande principale, intervenant à l’initiative du parquet avec le consentement de la victime. Conçue en cas de danger imminent pour protéger la victime et ses enfants, le contradictoire est réintroduit après la décision du JAF sur l’OPPI, lors du traitement de l’OP classique en 6 jours.

  • Double preuve alourdie : le législateur exige non seulement la double preuve de la vraisemblance des violences alléguées et du danger auquel la partie demanderesse est exposée mais, en outre, que ce danger soit grave et immédiat. Il inscrit ainsi dans la loi une pratique jurisprudentielle déjà présente dans l’OP en 6 jour.

  • Le JAF se prononce sur les seuls éléments contenus dans la requête : la requête de la victime devra comporter à elle seule tous les éléments de preuve exigés. L’avis du parquet de transmettre la demande au JAF se fondera uniquement sur ces seuls éléments. On peut, dès lors, se demander si la preuve sera facilitée avec l’évolution de la jurisprudence qui admet aujourd’hui les preuves déloyales ?

  • Preuve du caractère immédiat : le JAF disposera de 24 heures à compter de sa saisine pour se prononcer sur la base de la demande du parquet. Exigera-t-il, comme il le fait dans l’ordonnance classique, que la preuve du danger soit la démonstration de celui qui existe au moment où il statut ou d’un danger présent depuis au moins 8 jours ? Ou bien, suivra-t-il l’avis du parquet au moment de sa saisine compte-tenu du délai extrêmement bref dont il dispose pour prendre sa décision ? Se dévoile déjà toutes les difficultés que pourra poser cette nouvelle OPPI en matière d’administration de la preuve qui risque, si ce n’est d’occulter, d’interférer sur la procédure classique.

  • Preuve de la gravité du danger : c’est l’avis du parquet qui sera déterminant dans cette nouvelle procédure même si les éléments contenus dans la requête resteront soumis à l’appréciation du juge qui devra décider d’accorder ou non cette OPPI, au regard notamment de la requête principale en OP. Néanmoins, des éclaircissements sur le rôle du parquet en la matière sont attendus d’autant que le parquet disposait déjà de la possibilité d’intervenir en cas de danger grave et imminent pour une personne humaine. Dispositif peu usité qui serait transposé dans ce cadre avec un parquet ayant un rôle quasi identique mais permettant dans le même temps de protéger les enfants.

Comment va peser la décision de refus d’OPPI sur la procédure d’OP qui devra se poursuivre au-delà des 24h00 ? Si le caractère immédiat ou imminent du danger est écarté, ce refus de prononcer une OPPI va-t-il ouvrir à plus d’ordonnance de protection classique et éviter que les magistrats au fond n’exigent un danger immédiat comme c’est actuellement le cas ?

  • Mesures limitées dans le temps : certaines mesures de l’ordonnance de protection pourront être prononcées dans les 24h00 par le JAF telles que l’éloignement, la suspension du droit de visite et d'hébergement, l’interdiction de détenir une arme, l’octroi d’un téléphone grave danger qui seront prises pour une durée de six jours, à l’issue de laquelle le JAF devra rendre une ordonnance de protection classique et décider de leur maintien ou non.

  • Moyens disponibles accrus pour protéger la victime exposée à un danger imminent : l’OPPI est une procédure d’urgence qui interroge sur les cas d’usage auxquels cette nouvelle mesure va s’appliquer. On peut déduire du texte, en l’absence de jurisprudence, quelle sera réservée aux hypothèses les plus rares de violences physiques flagrantes réitérées ou aux situations où l’auteur présumé est en fuite, on ne sait pas où il est, le procureur estimant alors indispensable de déclencher l’OPPI pour protéger la victime. Il pourra y adjoindre un bracelet anti-rapprochement (BAR) ou un téléphone grave danger (TGD). L’idée défendue par les rapporteurs du texte est d’articuler ce qui est le plus pertinent pour protéger la victime au mieux de ses intérêts. Toutefois, la durée de six mois prévue pour le dispositif de téléprotection peut être réduite par le procureur de la République (art. 4).

  • Sanctions aggravées loi de protection, elle augmente néanmoins la peine en cas de non-respect d’une ou plusieurs obligations ou interdictions imposées dans une OP ou une OPPI qui est désormais puni de 3 ans de prison et de 45 000 € d’amende au lieu de 2 ans de prison et de 15 000 € d’amende actuellement (art. 3)