Avec la publication au Journal officiel d’un arrêté précisant les principales dates auxquelles les décisions des juridictions judiciaires et administratives seront mises à disposition du public, l’open data judiciaire se concrétise.
Inscrite dans la loi de programmation de la Justice 2018-2022, la modification du régime de mise à disposition du public des décisions de justice sous forme électronique avait été précisé à l’été 2020 via le décret n° 2020-797 du 29 juin 2020. Ce 28 avril, il a été complété par la publication au Journal officiel, d’un Arrêté fixant le calendrier de ce que l’on nomme communément ‘l’open data judiciaire’.
La publication de cet arrêté intervient à la suite de l’injonction du Conseil d’Etat dans l’arrêt « Ouvre boîte ».
La Chancellerie a fait le choix d’une mise à disposition progressive des décisions de justice par degré de juridiction et par contentieux en fonction des évolutions techniques des logiciels d’occultation, du déploiement de nouveaux systèmes d’information ou encore de modifications sur les outils existants.
À quelles dates l’Arrêté entrera-t-il en application ?
L’Arrêté publié le 28 avril 2021 a permis dresse à la fois un calendrier clair et étalée de l’entrée en vigueur de la publicité électronique des décisions de justice. En voici les dates clés.
En matière de justice administrative
- Entrée en vigueur le 30 septembre 2021 s’agissant des décisions du Conseil d’Etat.
- Entrée en vigueur le 31 mars 2022 s’agissant des décisions des cours administratives d’appel.
- Entrée en vigueur le 30 juin 2022 s’agissant des décisions des tribunaux administratifs.
Pour les contentieux en matière civile, commerciale et sociale
- Entrée en vigueur le 30 septembre 2021 s’agissant des décisions rendues par la Cour de cassation.
- Entrée en vigueur le 30 avril 2022 s’agissant des décisions rendues par les cours d’appel.
- Entrée en vigueur le 30 juin 2023 s’agissant des décisions rendues par les conseils de prud’hommes.
- Entrée en vigueur le 31 décembre 2024 s’agissant des décisions rendues par les tribunaux de commerce.
- Entrée en vigueur le 30 septembre 2025 s’agissant des décisions rendues par les tribunaux judiciaires.
Pour le contentieux en matière pénale
- Entrée en vigueur le 30 septembre 2021 s’agissant des décisions rendues par la Cour de cassation.
- Entrée en vigueur le 31 décembre 2024 s’agissant des décisions rendues par les juridictions de premier degré en matière contraventionnelle et délictuelle.
- Entrée en vigueur le 31 décembre 2025 s’agissant des décisions rendues par les cours d’appel en matière contraventionnelle et délictuelle.
- Entrée en vigueur le 31 décembre 2025 s’agissant des décisions rendues en matière criminelle.
La feuille de route de l’open data des décisions de justice est désormais connue, mais de nombreux chantiers s’ouvrent.
Open data judiciaire : un sujet sous surveillance du CNB
Si la publication de ce calendrier marque une avancée importante, les problématiques soulevées par l’open data judiciaire restent nombreuses. Les problématiques liées à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions juridiques et administratives sont de nature très diverse :
- Elles sont économiques, car le traitement des données peut être confié à des entreprises commerciales, des legaltechs qui vont avoir pour charge d’investir, de collecter, de traiter, d’analyser et des restituer des décisions de justice.
- Elles sont juridiques, notamment au regard de la vie privée, car il est question de droit des personnes, et la gestion de l’anonymisation et de la pseudonimysation demeure encore largement méconnue.
- Elles sont éthiques car il est hors de question de laisser à des entreprises privées la charge d’élaborer des algorithmes sans respect d’un minimum de règles de transparence, de neutralité, d’indépendance et de sérieux juridique.
En conséquence, « Le CNB a noué des partenariats avec la Cour de cassation et le Conseil d’Etat pour que ce soient les plus hautes juridictions de notre pays qui aient à gérer l’open data des décisions de justice. Le CNB s’est satisfait que, à titre d’exemple, la décision d’occultation des éléments d’identification de nature à porter atteinte à la sécurité et au respect de la vie privée soit porté devant un magistrat de la Cour de cassation désigné par le premier président et non plus seulement devant un service administratif. », comme le rappelle Jérôme Gavaudan, président du Conseil national des barreaux.
Si le CNB reste force de proposition dans le cadre du rôle du juge la communauté judiciaire - avocat magistrat et greffier - se rend bien compte que le développement anarchique ou la mise sur le marché dans le cadre de l’open data des décisions de justice, sans contrôle indépendant, pourrait avoir des effets particulièrement néfastes voire aboutir à des situations ne reflétant pas la réalité de la jurisprudence. « C’est dans ces circonstances que ce sujet reste non seulement un des sujets majeurs de la mandature, mais encore un thème sur lequel je souhaite comme président du CNB apporter toute l’attention nécessaire », précise le président de l’institution.
Une prise de position qui n’a cessé de se renforcer
Dès son Assemblée générale des 16 et 17 novembre 2018, le CNB prenait position sur l’open data pour rappeler :
- la nécessité d’octroyer aux avocats, qui participent à l’élaboration des décisions de justice, un égal accès aux décisions de justice avec les magistrats, tant en ce qui concerne le niveau d’anonymisation des décisions que le contenu de la base de données, qui doit être complète et intègre ;
- la nécessité d’éviter une fracture numérique en garantissant aux avocats le même accès aux décisions de justice, quels que soient la taille de la structure dans laquelle ils exercent et les moyens dont ils disposent ;
Ils demandaient :
- à être associé au pilotage, à la gestion et au contrôle de la base de données des décisions de justice qui sera constituée et mise à disposition du public, notamment en ce qui concerne le traitement et l’anonymisation desdites décisions ;
- à être associé à la mise en œuvre de dispositifs de contrôle de l’utilisation qui sera faite de cette base de données, notamment en ce qui concerne le contrôle et la régulation des algorithmes utilisés pour son exploitation ;
À l’occasion de son Assemblée générale du 3 juillet 2020, le CNB a fait part de son inquiétude relative aux modalités de mise à disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives. Suite à la publication du décret n°2020-797 du 29 juin 2020, les membres élus de l’institution ont voté une motion de censure. Cette dernière s’inquiète notamment de la place du contradictoire dans la décision d’occultation ou de non-occultation, du sort réservé aux décisions rendues avant la publication des arrêtés auxquels est subordonné le décret, qui sera mis en œuvre de façon progressive par niveau d’instance et type de contentieux.
Par ailleurs, les membres élus réunis en Assemblée générale le 3 juillet 2020 ont rappelé les préoccupations concernant la réutilisation qui sera faite des données judiciaires ainsi mises à disposition et la nécessité de garantir la transparence ainsi que l’éthique des algorithmes utilisés pour leur exploitation.