Sont publiés au Journal Officiel du 13 février 2020 l’ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et ses deux décrets d’application qui prévoient les mesures de transposition de la directive UE du 30 mai 2018 modifiant la 4e directive anti-blanchiment 2015/849.
Cette ordonnance, prise sur le fondement de l’article 203 de la loi PACTE n° 2019-486 du 22 mai 2019, apporte des modifications substantielles au régime juridique applicable aux avocats en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).
Les principales mesures
Intégration du conseil fiscal dans le champ d’application des obligations LCB-FT
Rappelons tout d’abord pour limiter l'atteinte portée au secret professionnel de l’avocat, l’article L. 561-3, I CMF prévoit que les avocats ne sont assujettis aux obligations LCB-FT (vigilance/déclaration de soupçon) que pour certaines activités limitativement énumérées à savoir :
1°) lorsqu’ils participent pour leur client à toute transaction financière ou immobilière ou agissent en qualité de fiduciaire ;
2°) lorsqu’ils assistent leur client dans la préparation ou la réalisation de transactions concernant :
- l’achat et la vente d’immeubles et de fonds de commerce ;
- la gestion de tout actif de leur client ;
- l’ouverture de comptes bancaires, d’épargne ou de titres ;
- l’organisation d’apports en société ;
- la constitution, gestion ou direction de sociétés, des fiducies ou de toute autre structure similaire,
- la constitution ou la gestion de fonds de dotation.
L’ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 (art 2) ajoute à cette énumération de l’article L. 561-3 ; I un 3°) couvrant les activités fiscales dans les termes suivants :
« 3° Elles fournissent, directement ou par toute personne interposée à laquelle elles sont liées, des conseils en matière fiscale. ».
Cet ajout ne remet pas en cause l’exemption de déclaration de soupçon applicable aux activités de consultation juridique des avocats, sous la réserve que la consultation n’ait pas été fournie à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ou en sachant que le client les demande à ces fins.
Sur ce point, l’ordonnance de transposition ne modifie pas l’article L. 561-3, II CMF en conformité avec la directive 2018/843 qui n’apporte aucune modification aux objectifs et aux champ d’application spécifique de la directive 2015/849 pour les avocats.
Art. 561-3, II, issu ord. 12 février 2020, art. 2 « Les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, les avocats et les personnes mentionnées au 18° de l'article L. 561-2 dans l'exercice d'une activité mentionnée au I ne sont pas soumis aux dispositions de la section 4 du présent chapitre et de l'article L. 561-25 lorsque l'activité se rattache à une procédure juridictionnelle, que les informations dont ils disposent soient reçues ou obtenues avant, pendant ou après cette procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d'engager ou d'éviter une telle procédure, non plus que lorsqu'ils donnent des consultations juridiques, à moins qu'elles n'aient été fournies à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ou en sachant que le client les demande aux fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ». |
Extension des obligations de vigilance aux activités de consultation juridique et aux activités juridictionnelle
Si les activités de consultation juridique et les activités contentieuses demeurent hors champ de la déclaration de soupçon, ces activités sont désormais assujetties aux obligations de vigilance des articles L. 561-4 et suivants qui s’imposent déjà pour les activités visées au I de l’article L. 561-3, I (identification du client, du bénéficiaire effectif, mesures de vigilance renforcées dans certaines situations…).
Cependant, des aménagements spécifiques sont prévus par l’ordonnance du 12 février 2020 pour préserver les droits de la défense et l’accès au droit et à la justice des justiciables concernés, à savoir :
o L’exclusion du droit de communication de TRACFIN prévu à l’article L. 561-25 sur les documents conservés par l’avocat au titre de l’obligation de vigilance ;
o L’introduction à l’article L. 561-8 d’une exception à l’obligation de déport applicable lorsque le professionnel assujettis n’est pas en mesure d’identifier le bénéficiaire effectif de l’opération . L’article 3 4°) de l’ordonnance ajoute ainsi à l’article L. 561-8 l’alinéa suivant : « Les personnes mentionnées aux 12° à 13° de l'article L. 561-2 ne sont pas soumises aux dispositions du premier alinéa lorsque leur activité se rattache à une procédure juridictionnelle, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d'engager ou d'éviter une telle procédure, et lorsqu'elles donnent des consultations juridiques. » ;
Extension des obligations LCB-FT aux CARPA
Les caisses des règlements pécuniaires des avocats (CARPA), sont, aux termes du 18°) nouveau de l'article L. 561-2 CMF, assujetties au dispositif de prévention et détection du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme dans les mêmes conditions que les avocats. Le droit de communication de TRACFIN s’exerce dans les conditions spécifiques prévues à l’article L. 561-25-1. Le contrôle du respect par les CARPA des obligations LCB-FT sera assuré par la Commission de contrôle des CARPA (art. L. 561-36, I. 15°).
Autres mesures :
Les conseils de l’ordre des barreaux qui sont désignés par le législateur comme les autorités de contrôle dans le cadre de l’autorégulation reconnue à la profession en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (art. 17 13°), L. 31 décembre 1971 ; art. L561-36-3° CMF) sont tenus de publier sur leur site internet un rapport annuel relatif à leurs activités de contrôle et de sanction et dont le contenu est précisé à l’article 11 du décret du 12 février 2020 (Art. R. 561-41-1).
L’ordonnance du 12 février 2020 élargit l’accès au registre des bénéficiaires effectifs des personnes morales, trusts et fiducies. L’article L. 561-46 CMF modifié par l’ordonnance ouvre un accès sans restriction à ce registre aux autorités de contrôle visées à l’article L. 561-36 (dont les Ordres d’avocats) et permet un accès aux professionnels assujettis visés à l’article 561-2 dans le cadre de certaines mesures de vigilance.
Cette nouvelle législation sera explicitée plus en détails dans la prochaine édition du guide pratique de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en cours de refonte. Un module de de formation e-learning sera aussi mis à disposition des avocats par le CNB.