Le droit des étrangers est le « laboratoire du pire », dont les réformes successives fragilisent, chaque fois un peu plus, les garanties procédurales et les droits fondamentaux des étrangers, personnes vulnérables au sens de la Cour européenne des droits de l’homme.
Le droit des étrangers est le « laboratoire du pire », dont les réformes successives fragilisent, chaque fois un peu plus, les garanties procédurales et les droits fondamentaux des étrangers, personnes vulnérables au sens de la Cour européenne des droits de l’homme.
Force est de constater que, hormis de rares exceptions, cette réforme ne fait pas exception à la logique de recul des droits qui prévaut en matière de droit des étrangers, depuis bientôt 30 ans. Il s’agit d’ailleurs de la 17e réforme du droit des étrangers depuis 1996.
Le CNB met un point d’honneur à se mobiliser, de manière constante et indéfectible, pour garantir les droits fondamentaux de tous et notamment un accès effectif à la justice, dans le respect de l’état de droit. À ce titre, le CNB plaide pour un « humanisme juridique », notion d’ailleurs défendue par la professeure de droit Mirelle Delmas-Marty.
Le projet de loi, tel que déposé au Sénat, comporte certaines dispositions qui « vont dans le bon sens », mais également de « nombreuses bombes à retardement » en matière de contentieux et des mesures « dangereuses » pour l’Etat de droit.
Ce texte intervient à la suite de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, laquelle avait déjà fait l’objet de nombreuses alertes de la profession d’avocat, en raison de nombreuses dispositions attentatoires aux droits de la défense et aux garanties procédurales des personnes étrangères.
Le Conseil national des barreaux, réuni en assemblée générale, le 3 février 2023, a pris connaissance des modifications substantielles apportées par le texte, sur l’asile, l’éloignement, les délais contentieux et le droit au séjour
Concernant l’asile
L’un des points majeurs d’inquiétude de la profession d’avocat vis-à-vis du projet de loi est relatif à la réorganisation fonctionnelle de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).
En effet, alors que l’instauration de chambres régionales pourrait être une mesure efficace afin de répondre à la nécessité fondamentale de ne pas recourir à la visio-audience pour les demandeurs d’asile, il apparaît que la généralisation du juge unique aura de lourdes conséquences pour les justiciables, constituant d’ailleurs une atteinte au principe de la collégialité.
Cette réorganisation de la CNDA marque aussi la disparition du haut-commissaire des réfugiés dans la prise de décision jusque-là collégiale, qui ne permettra plus prendre en compte de la vulnérabilité de l’étranger.
Par ailleurs, bien que le texte autorise l’accès au marché du travail, dès l’introduction de la demande d’asile, certaines difficultés persistent pour les demandeurs d’asile, qui, nous le rappelons, ne sont pas une variable d’ajustement d’un marché du travail en tension :
- la distinction entre demandeurs d’asile, sans examen individuel des situations, mais en se référant à un taux de protection internationale fixé unilatéralement par décret, est source de discrimination et d’arbitraire
- le dispositif, tel qu’il est proposé, est révélateur d’une grave confusion des genres entre impératifs économiques et octroi de conditions dignes à des personnes vulnérables et dont l’examen d’une protection internationale relève des obligations internationales de la France
Enfin, il est regrettable que le projet de loi ne mentionne pas les demandeurs d’asile « dublinés » faisant l’objet d’une décision de transfert vers un autre Etat membre de l’Union européenne en vertu du règlement Dublin III.
Le 24 février 2022, le Conseil d’Etat, a tiré les conséquences de l’arrêt de la CJUE (du 14 janvier 2021, par lequel la Cour a confirmé que l’accès au marché du travail doit être possible dans un délai de neuf mois, à compter de l’introduction de la demande, quelle que soit la procédure appliquée), en annulant les dispositions de l’article L554-2 du CESEDA en ce qu’elles empêchent l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile dublinés.
Il conviendrait donc au législateur de se mettre en conformité avec ces décisions, dans le respect du principe de hiérarchie des normes.
Concernant l'éloignement
Les personnes qui font l’objet d’une protection particulière contre l’éloignement pourront se voir retirer cette protection, non plus en raison de la peine prononcée, mais de la peine qu’elles encourent. Il s’agit d’un durcissement. A titre d’exemple, la prise illégale d’intérêts, définie à l’article 432-12 du code pénal, est punie de 5 ans d’emprisonnement. Une personne coupable de prise illégale d’intérêt pourra donc se voir retirer sa protection. Cela nous amène à se poser la question de la conformité de ce dispositif radical et disproportionné aux obligations internationales de la France (droit de mener une vie familiale normale et de l’intérêt supérieur de l’enfant protégé par l’article 7 de la Convention internationale des droits de l’enfant).
Le CNB s’inquiète d’une confusion des genres tendant à lier politique d’enfermement et politique migratoire, sans appréciation de la situation individuelle.
Le recours à la coercition pour le relevé d’empreintes digitales, prévu par le texte, est une mesure grave et attentatoire à la dignité humaine. Cette mesure est, selon la profession d’avocat, inconstitutionnelle et générera un contentieux conséquent en portant atteinte à l’intégrité du corps humain. Cette mesure revient à considérer les étrangers comme une « sous-catégorie humaine ». De plus, aucune distinction n’est faite par le texte entre les majeurs et les mineurs.
Concernant les délais contentieux
La nécessité de simplifier les délais contentieux fait consensus de longue date.
À l’occasion de la mise en place du groupe de travail, présidé par le Conseiller STHAL sur le fait que la simplification du contentieux en droit des étrangers et de l’Asile, le CNB avait alors mis en garde sur le fait que la simplification ne devait pas se faire au détriment de l’étranger, l’éloignant de tout accès au juge.
Le projet de loi retient comme critère pour définir le délai de contentieux applicable, le délai de départ volontaire, critère très injuste pour l’étranger.
Si l’on peut saluer que le délai de contestation des OQTF, avec départ volontaire, passe de 30 jours à un mois (ce qui permet de gagner quelques jours lorsque le délai expire un jour férié), le contentieux des décisions portant OQTF, sans délai de départ volontaire, devient très problématique pour l’étranger.
Désormais, ces OQTF doivent être contestées dans les 48h, à compter de leur notification et le tribunal administratif devra statuer dans les six semaines à compter de sa saisine.
Aucune justification d’un tel raccourcissement des délais n’est avancée. En pratique, cette modification a pour conséquence d’appliquer des délais auparavant justifiés par l’urgence et privera des milliers de justiciables maîtrisant souvent mal la langue et les subtilités procédurales, de pouvoir introduire un recours dans les temps et accéder à un juge.
Le CNB dénonce fermement un tel raccourcissement injustifié des délais qui porte gravement atteinte aux droits des personnes ; en effet la profession d’avocat tient à rappeler que le droit à un recours effectif est garanti par plusieurs textes internationaux, dont la Convention européenne des droits de l’Homme et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Le CNB est également fermement opposé, de longue date, à la généralisation du recours à la visio-audience.
Le texte prévoit que l’audience devant le JLD, comme devant le juge administratif, concernant un étranger retenu sera soit en audience délocalisée, soit en vidéo-audience, ayant pour effet de « chasser le retenu » du tribunal.
Dès lors que le juge administratif a le choix de se rendre dans la salle d’audience délocalisée ou de tenir audience au tribunal, le Conseil d’Etat, dans son avis, reconnaît que ces dispositions induiront, en pratique, un recours accru à la vidéo audience. Ces nouvelles modalités de jugement « inhumaines et discriminantes » sont contraires au droit au procès équitable, qui suppose un accès au juge, la publicité de l’audience, une égalité des armes. La visio-audience prive les justiciables d’une défense effective, à fortiori s’agissant du contentieux de l’urgence de personnes vulnérables.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit de refuser la délivrance de visas à l’étranger, qui a fait l’objet d’une OQTF, depuis moins de cinq ans et qui n’apporte pas la preuve qu’il a quitté le territoire français dans le délai de départ volontaire qui lui a été accordé.
Toute personne ayant exercé un recours en justice contre une décision administrative se verra ainsi dans l’impossibilité d’obtenir un visa sous 5 ans, du fait que le tribunal administratif ne statue jamais dans les délais.
Cette mesure entraînera des conséquences graves, susceptibles de priver des personnes du droit au respect de leur vie privée et familiale et générera un contentieux de visa considérable, comme l’indique d’ailleurs le Conseil d’Etat dans son avis.
L’interdiction de placer des mineurs de moins de seize ans en centre de rétention administrative (CRA) est une « bonne mesure », au regard des multiples condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Pour rappel, le 31 mars 2022, la CEDH dans un arrêt N.B. et autres c. France a condamné pour la 9e fois l’administration française pour sa politique d’enfermement d’enfants dans les centres de rétention. La Cour affirme de manière constante que « la situation de particulière vulnérabilité de l’enfant mineur est déterminante et prévaut sur la qualité d’étranger en séjour irrégulier de son parent ».
La majorité étant fixée à dix-huit ans en France, la profession d’avocat propose que cette interdiction soit étendue à l’ensemble des mineurs de moins de dix-huit ans.
Concernant les titres de séjour
Le projet de loi a pour ambition d’introduire de nouvelles règles concernant le séjour et l’accès au marché du travail des étrangers. Ces dispositions ont pour objectif de répondre aux « tensions existantes sur le marché du travail », lesquelles se sont sensiblement aggravées depuis la crise sanitaire.
Il apparaît que l’offre de formation est largement insuffisante en dehors de l’Île-de-France. Le caractère non-obligatoire de l’accès à l’offre de formation par l’employeur constitue une forte inégalité et fait peser sur le demandeur de titre de séjour la possible négligence de son employeur.
Dans son avis, le Conseil d’Etat insiste d’ailleurs sur la nécessité de bien calibrer les formations linguistiques offertes afin notamment d’éviter de précariser les intéressés. La maîtrise de la langue française est l’une des premières conditions d’une intégration réussie, socialement et professionnellement. C’est pourquoi le salarié doit avoir la possibilité de mettre en demeure son employeur en cas de manquement dans l’accès à une formation adéquate et ne doit pas être pénalisé par l’attitude de son employeur en perdant son droit au séjour.
Par ailleurs, il est regrettable que la carte de séjour temporaire « travail dans des métiers en tension », nouvellement créée et prévue pour être mise en place jusqu’en décembre 2026, exclut de son bénéfice les étudiants et les travailleurs saisonniers. Cette exclusion semble en marge de la réalité du marché du travail, dans lequel les employeurs souhaitent souvent pérenniser les contrats des étrangers qui ont travaillé dans le cadre de leurs études, ou en tant que saisonniers. De plus, l’autorité en charge de la liste et zones géographiques en tension n’est pas précisée, ni la fréquence des mises à jour de ladite liste.
Or, il est nécessaire que cette liste soit dynamique, révisable et adaptable, en concertation avec les syndicats d’employeurs et de salariés. Le Conseil d’Etat souligne d’ailleurs la nécessité d’une remise à jour régulière de la liste.