Monsieur le Premier Président de la Cour de cassation,
Monsieur le Procureur général près la Cour de cassation,
Mesdames et Messieurs les hauts magistrats,
Mesdames et Messieurs les Professeurs,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les bâtonniers,
Cher Confrères,
Distingués invités,
Mesdames et Messieurs,
Monsieur le Premier Président, Monsieur le Procureur Général,
Je tiens à vous remercier sincèrement pour l’initiative que vous avez prise d’organiser cette journée de rencontre entre magistrats, avocats et universitaires qui s’annonce très riche et passionnante.
Nous n’avons que peu d’occasions d’échanger officiellement à propos de nos déontologies, de nos relations et cette manifestation est essentielle pour approfondir la connaissance que nous avons de nos professions, de nos fonctions dans notre Etat de droit ainsi que des exigences éthiques qui les encadrent et qui nous guident dans l’exercice de nos professions respectives.
Si croiser nos regards sur nos déontologies respectives n’est pas un exercice nouveau, il n’est pas pour autant fréquent.
J’ai eu le plaisir d’en discuter en 2015 devant une nouvelle promotion de l’ENM.
La commission des règles et usages du Conseil national des barreaux a travaillé avec des magistrats sur les questions déontologiques et nous avons accueilli, lors d’une de nos assemblées générales, des magistrats présentant le « recueil des obligations déontologiques des magistrats ».
Nous avons alors compris que l’élaboration de ces règles était marquée du sceau d’une crise de confiance que la justice a traversée davantage peut-être que les relations de ses acteurs eux-mêmes.
Dans ce contexte un peu timide et balbutiant, nous pouvons rappeler ce qui suit :
1) Les règles déontologiques sont un instrument à la fois de contrôle des institutions professionnelles sur leurs membres et d’indépendance de ceux-ci vis-à-vis des tiers.
Il s’agit ainsi de règles exprimant un devoir-être et un savoir-être de ceux qui leur sont soumis pour l’exercice de leur profession. Naturellement, dans cette vision, la déontologie ne concerne pas que les professions libérales et trouve à s’appliquer aux magistrats.
2) Plusieurs choses nous rapprochent sur le terrain de la déontologie.
Magistrats et avocats participent au fonctionnement de la justice, certes dans des fonctions différentes, dans des rôles distincts. Mais ils sont mus par la conviction que la justice peut assurer un fonctionnement régulé et pacifié de notre société.
Magistrats et avocats sont tenus par une éthique qui est universelle, certes avec des règles déontologiques dont la portée peut être différente.
Et nos déontologies sont sanctionnées tant par nos instances de régulation que par les juridictions en cas de faute.
3) Pourquoi nous soumettre ainsi à une éthique sanctionnée rigoureusement ?
L’exigence de nos déontologies est l’assurance que nous devons au public, aux justiciables, de notre indépendance ainsi que de l’exercice de nos missions respectives avec la plus haute conscience. Notre travail est de parvenir en commun à la meilleure décision de justice possible.
C’est aussi parce qu’avec les pouvoirs qui nous sont dévolus, ou plutôt pour les avocats dont ils sont les spectateurs de l’exercice, que nous assumons de grandes responsabilités. Nos règles déontologiques sont là pour nous rappeler notre responsabilité.
Cette responsabilité, étymologiquement, est de répondre à la confiance qui est placée en nous. Ce que nos amis anglais et américains nomment « accountability », c’est-à-dire être comptable de ses actes.
4) Cependant, sur un tel socle commun, si nous sommes ici aujourd’hui c’est que nous prenons comme point de départ nos déontologies pour interroger la qualité et la nature de nos relations.
Nous le savons, et nous nous le sommes déjà dits, il existe des difficultés entre avocats et magistrats, des frictions, des oppositions.
Vous avez évoqué Monsieur le Premier Président, lors de votre discours de rentrée du 13 janvier 2017, « la souffrance ressentie par un nombre croissant de magistrats dans leurs relations avec certains avocats ».
Vous avez alors appelé magistrats et avocats à se « pencher ensemble sur la question de leur déontologie commune dans leurs rapports mutuels ».
Cette question a fait l’objet d’un rapport sur la « protection des magistrats ». En rappelant ce rapport, je ne cherche pas ici à ranimer le feu de certaines réactions des avocats à sa lecture.
Je dois toutefois à la vérité de dire que lors de mon audition par le groupe de travail chargé de ce rapport j’ai rappelé que les règles déontologiques des avocats contenues dans le Règlement intérieur national, le RIN, déclinent nos principes essentiels pour les rapports des avocats avec les magistrats, qui peuvent éviter les généralisations, depuis certaines exceptions.
Ainsi, l’article 1 bis du RIN prévoit que, « en application du principe de courtoisie, l’avocat doit, lorsqu’il plaide devant une juridiction extérieure au ressort de son barreau, se présenter au président et au magistrat du ministère public tenant l’audience, au bâtonnier et au confrère plaidant pour la partie adverse ».
L’article 21.4 du RIN, qui reprend les dispositions du code de déontologie des avocats européens, est entièrement consacré aux « rapports avec les magistrats ».
Il prévoit plusieurs règles simples tenant au respect des règles déontologiques applicables devant les juridictions, ou du caractère contradictoire des débats. Nous devons également faire preuve de respect et de loyauté envers l’office du juge, sans que cela puisse nuire au caractère plein et entier des droits de la défense. Enfin, à aucun moment, l’avocat ne doit sciemment donner au juge une information fausse ou de nature à l’induire en erreur.
Il m’a également fallu rappeler certaines évidences tenant à la signification de l’indépendance des avocats, à la portée de la liberté de parole des avocats dans et hors du prétoire, et au fait qu’il n’existe évidemment aucune volonté organisée ou concertée de l’institution nationale représentative de la profession d’avocat de fragiliser le fonctionnement du service public de la justice et des magistrats, du siège ou du parquet, qui en sont membres.
Il reste que nos rapports peuvent être empreints de méfiance ou de défiance, notamment à l’occasion d’affaires sensibles ou médiatisées.
5) Nous avons les moyens d’améliorer la qualité et la nature des relations entre magistrats et avocats.
Nous savons comment faire pour mieux nous connaître. Nous savons qu’il faut dialoguer. C’est cela qui nous permet de prévenir les conflits, les frictions et les oppositions que je mentionnais il y a quelques instants.
Ce dialogue prend plusieurs formes.
5.1. D’abord, nous devons mener et partager plus de formations communes.
Le constat est simple et connu. Nous faisons nos études universitaires ensemble. Nous partageons l’enseignement et la culture juridique commune à tout juriste. Puis nous divergeons. Nous entrons chacun dans nos écoles de formation et nous ne nous retrouvons que face à face, dans le prétoire, alors que nous étions côte à côte quelques années auparavant.
Nous devons créer les moments de partage et de formation commune, comme cela a pu être le cas lorsque le Conseil national des barreaux organisait des formations à la QPC réunissant magistrats et avocats.
Les auditeurs de justice sont les bienvenus dans les cabinets d’avocats. C’est l’occasion pour eux de se rendre compte de la réalité de notre travail, de l’exactitude de nos relations avec nos clients, qu’elles soient économiques ou humaines et sociales et de l’importance que nous attachons, par exemple, au secret professionnel que nous devons à nos clients et qui doit être impérativement protégé de toute atteinte.
Les formations à l’Ecole nationale de la magistrature peuvent être encore plus ouvertes aux avocats.
C’est dans cet esprit que le Conseil national des Barreaux a noué un dialogue avec Monsieur Olivier Leurant, directeur de l’Ecole nationale de la magistrature.
Et puisque j’ai évoqué notre culture juridique commune, pourquoi ne pas rêver à une école nationale des avocats ? Qui pourrait être, pourquoi pas, en face de l’ENM, à Bordeaux. Au-delà du symbole, cela aurait beaucoup de sens et permettrait, par exemple, la construction d’une culture commune entre avocats et magistrats, à l’image de ce que proposait le rapport Darrois avec la « grande école du droit », ce qui éviterait des tensions inutiles et inutilement exacerbées.
5.2. Ensuite, notre dialogue doit être constant dans nos juridictions entre les bâtonniers et les chefs de juridiction, les Procureurs de la République et les Procureurs généraux.
Ce dialogue doit être régulier, ouvert, et confiant.
Cela participe d’une bonne administration de la justice et les informations échangées dans ce cadre aident à faire passer les messages utiles de part et d’autre.
Ce dialogue permet de trouver des points de convergence lorsqu’il s’agit de porter ensemble, de manière unie, les revendications de l’indispensable renforcement des moyens humains et matériels dont notre justice a besoin, ou lorsque sont en jeu des réformes de notre droit et de notre système juridictionnel ou encore la protection des libertés.
Cela tient largement à la qualité et à la bonne volonté des femmes et des hommes qui exercent ces fonctions et sont appelés à se rencontrer et à dialoguer.
On parle souvent du dialogue des juges. Celui qui doit exister entre magistrats et avocats n’est pas moins essentiel pour le fonctionnement de la justice.
5.3. Nous pouvons aussi réfléchir aux moyens de faciliter les passerelles entre nos professions.
La compréhension mutuelle et la construction d’une culture commune passent par une fluidité accrue des parcours professionnels des magistrats et des avocats.
S’ouvrir à l’autre et l’accueillir est un enrichissement pour chacune de nos professions et un gage de qualité accrue de la justice. Les justiciables
S’il m’est encore possible de lancer une idée ou d’ouvrir un chantier, alors que je quitte mes fonctions de Président du Conseil national des barreaux dans 31 jours, celui de la facilitation des passerelles entre nos deux professions me semble utile.
5.4. Enfin, cette formation commune, ce dialogue constant, les passerelles facilitées permettront une compréhension approfondie de nos déontologies et de leur raison d’être.
Conclusion
Notre rencontre aujourd’hui est essentielle pour affirmer que nous devons être dans un rapport de confiance et non de défiance ou de méfiance réciproque.
Cette défiance ou cette méfiance est un poison qui affaiblit chacune de nos professions et ne facilite pas l’œuvre de justice qui est le fruit de notre travail commun.
Nous pouvons dépasser les antagonismes.
Nos fonctions doivent primer sur les personnes et le respect mutuel s’instaurer. Ce respect qui ne se revendique jamais mais se mérite toujours.
Respect mutuel signifie équilibre, confiance dans les relations, sans lesquels nous pourrions courir le risque de trahir nos fonctions et nos serments respectifs.
A mes yeux, il n’y a pas d’antagonismes dans cette Grand’chambre de la Cour de cassation ni en dehors dans nos palais de justice. Ce ne sont que des professionnels de la justice et du droit qui parlent le même langage ou qui doivent l’adopter car ils croient dans les mêmes valeurs de justice et de l’Etat de droit.
Les propositions peuvent être structurelles :
- Celles des études
- Celles des écoles
- Celles des audiences
- Celles des rencontres organisées
Elles peuvent aussi et oserais-je dire surtout, et même oserais-je dire qu’elles doivent être surtout, humaines.
Notre société est sévère pour nos concitoyens, pour notre humanité, pour notre vision de l’avenir.
Le droit que nous servons, ensemble, nous conduit inéluctablement à nous comprendre pourvu que la tolérance constitue notre socle commun de cheminement.
Je forme le vœu de vous en avoir convaincus.