24 octobre 2017

Discours de Pascal Eydoux en présence de la garde des Sceaux à la Convention nationale des avocats, 19 octobre 2017, Bordeaux

Madame le garde des Sceaux, ministre de la justice,

Monsieur le Préfet,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Monsieur le Président du Conseil régional,

Madame la vice-Présidente du Conseil départemental,

Madame le Maire adjoint de Bordeaux,

Madame le Conseiller d’Etat, Présidente de la Cour administrative d’appel,

Monsieur le Premier Président,

Madame la Procureure Générale,

Mesdames et Messieurs les Hautes personnalités,

Mesdames et Messieurs Les Hauts Magistrats,

Mesdames et Messieurs les Professeurs,

Mesdames et Messieurs les représentants des 43 délégations du monde entier,

Mesdames et Messieurs les Présidents des institutions,

Madame et Messieurs les Bâtonniers et vice-Bâtonnier de Bordeaux et Libourne,

Mesdames et Messieurs les bâtonniers,

Distingués invités,

Chers Confrères,

« N'attends pas l'orage pour t'alarmer, le calme est plus menaçant que la tempête. Les faveurs du ciel sont des épreuves et non des récompenses. Jouis du présent, mais en te défiant de l'avenir ».

Je vous propose de nous placer avec lucidité sous cette recommandation d’Edward Young qui nous expose en quelques mots combien les défis, de tout temps, ont été et sont nombreux.

Elle nous confirme aussi que la culture du passé comme un âge d’or dont nous serions privés désormais, est vaine.

Nous sommes ensemble pour préparer l’avenir, pour tenter de le dominer et pour réussir.

I-Le Conseil national des barreaux

1) Quelle fierté Madame la Ministre, Mesdames et Messieurs de vous accueillir en aussi grand nombre et autant de qualités et prestige.2) Quelle joie mes confrères et quelle fierté aussi, de vous retrouver en aussi grand nombre pour notre convention.

Je tiens à vous remercier de l’intérêt que vous portez aux avocats et de votre fidélité à leur institution représentative.

Vous êtes les messagers des 68 000 confrères que le Conseil national rassemble et vous aurez la charge de leur expliquer dans quelques jours, lorsque vous retournerez dans vos barreaux, ce qui se sera passé ici.

Vous leur confirmerez, avec tous les membres du Conseil national de cette mandature, que je tiens à remercier pour leur investissement total dans l’intérêt collectif et général, ce qu’ils savent déjà mais que nous devons redire, sans jamais nous lasser, que leur Conseil national œuvre chaque jour à la construction de l’avocat de demain et tout à la fois, à la préservation des valeurs qui nous réunissent, où que nous soyons et quelles que soient nos spécialités.

Vous leur confirmerez bien sûr qu’il fut ici question d’avenir, que le regard fut lucide et profond pour explorer ce qui vient, que les esprits furent enthousiastes pour embrasser, dans l’unité, les défis de notre monde.

Vous leur confirmerez enfin que le Conseil national a pour responsabilité de donner à chacun les moyens de développer son exercice professionnel et qu’il assume cette responsabilité, sans autre débat inutile sur sa légitimité acquise depuis des années.

3) Votre prédécesseur, Madame la ministre, en septembre 2016, nous a exhortés à nous unir.

Il relevait que notre « expression s’affaiblit quand pour défendre (nos) intérêts, (nous faisons) appel à plusieurs voix ».

Il nous a appelé à « réfléchir aux modalités de (notre) représentation ».

Il observait que, « entre les barreaux, dont celui de Paris, et le Conseil national des barreaux, le rapport relève encore trop souvent de la concurrence, alors que c’est la complémentarité qui devrait logiquement être son maître-mot.

Le Conseil national des barreaux est l’instance représentative des avocats. Il est important qu’il soit conforté dans cette mission. Dans les faits, comme il l’est en droit, les avocats gagneraient à ce que le CNB soit l’instance unique de représentation de leur profession ».

Chacun sait que cet objectif et cette ambition ont été les miens depuis le début de cette mandature, dans le sillage des travaux de mes prédécesseurs.

Que les maillons d’une chaîne unique que nous constituons contribuent, chacun à leur tour, à l’élaboration de cette expression unique indispensable.

Mes confrères, vous le vivez et le dites tous les jours : le Conseil national vous écoute et vous entend.

Et le Conseil national réussit, ce que nous pouvons dire, avec simplicité et autant de certitude devant nos interlocuteurs publics et politiques.

Les choses sont claires et la répartition des missions dans notre profession ne l’est pas moins.

Rien ni personne, de l’extérieur comme de l’intérieur, ne peut entretenir une concurrence aussi vaine que néfaste.

Le Conseil national est en charge de la représentation politique et de la réglementation.

Les ordres auprès desquels nous sommes tous inscrits, maillent le territoire, nous assistent et nous contrôlent.

Ils sont les organes indispensables de notre régulation.

Telle est la volonté du législateur et telle est la volonté des avocats.

Cette complémentarité indispensable doit s’inscrire désormais dans une rénovation de notre gouvernance que nous devons aborder paisiblement.

Qu’il me soit permis de dire ce que la présente mandature nous a démontré et de redire par conséquent ce que la cérémonie des 25 ans du Conseil national m’avait inspiré : il est temps de poser les règles de sa mutation.

Je ne parle pas d’une transformation superficielle, marginale ou cosmétique ; changer de nom et s’appeler, par exemple, « ordre national des avocats » ne suffirait pas.

La mutation doit être plus profonde, plus substantielle et procéder d'une évidente révolution culturelle et des mentalités.

Elle ne se fera pas contre les ordres ou les barreaux, ni contre les syndicats ou contre les associations représentatives des courants d'exercice professionnel.

La représentation politique de la profession ne se réduit pas à l’ordinalité.

Les syndicats et les associations représentatives ont une place et un rôle essentiels. Leur travail est fondamental, il est remarquable, il est indispensable.

Leur exclusion constituerait une erreur historique et une faute politique considérable.

Parce que la diversité de notre profession est une grande richesse, l'adhésion de tous les avocats à leur représentation unique procède du suffrage universel affranchi des territoires et affranchi des structures intermédiaires.

C’est ainsi que notre institution dessinera mieux qu’aujourd’hui encore, notre avenir commun.

Cet avenir commun que nous déclinons pendant cette convention nationale autour des thèmes qui ont été au cœur des travaux de la mandature qui s’achèvera le 31 décembre prochain.

II-Economie. Numérique. Territoires.

Trois réalités de notre exercice professionnel que nous avons investies.

Trois thèmes qui ont constamment irrigué nos discussions avec les pouvoirs publics dans la perspective de l’évolution et du développement de notre profession.

Trois approches qui structurent notre rapport au public, à nos clients, particuliers et acteurs économiques.

Ces trois thèmes sont liés dans une même vision rénovée, dynamique et conquérante de la profession d’avocat.

1) Economie

Les trois années de notre mandature le confirment : les mots « concurrence, libéralisation et marché » ne sont pas tabous.

Ils ne relèvent pas d’une éventualité.

Ils constituent la réalité de notre exercice professionnel, la réalité dans laquelle sont ancrés le public et nos clients, sans oublier nos concurrents.

La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a pu constituer un choc pour certains d’entre nous.

Pour autant l’émergence assumée d’un nouvel interlocuteur que constitue le ministère de l’économie s’inscrit dans le prolongement des réflexions menées par la Commission européenne depuis le début des années 2000 : poser de nouvelles règles afin de faciliter ou de fluidifier l’exercice professionnel des professions juridiques et judiciaires et de libérer l’économie des services juridiques.

La question n’est plus de savoir si cela nous convient ou non.

L’exigence est d’en maîtriser les conséquences.

1.1. Pour les avocats, cette nouvelle donne s’est traduite par la réforme de la postulation, la simplification de la procédure d’ouverture des bureaux secondaires et l’ouverture de nouvelles formes d’exercice que sont l’interprofessionnalité d’exercice et la pluriprofessionnalité.

Ces réformes disent et confirment si besoin était, que les avocats sont des entrepreneurs : juridiquement, économiquement, socialement.

En tant qu’entrepreneurs, nous sommes confrontés aux règles d’un marché du droit et des services juridiques qui fonctionne encore de manière étrange : écartelé entre, d’une part, des monopoles revendiqués et des rentes, que des professions veulent sans cesse étendre, et, d’autre part, des pans entiers d’activités ouverts à la concurrence.

Dans cette configuration il est indispensable de rappeler que les avocats ne jouissent pas de monopoles, ni pour la rédaction d’actes juridiques, la consultation ou le conseil et de moins en moins pour la représentation et l’assistance en justice.

Ceci est à la différence de professions proches auxquelles sont réservés soit l’accès aux juridictions suprêmes, soit la rédaction d’actes dits authentiques dont la pertinence de la valeur économique doit être évaluée.

Comment pourrions-nous accepter que l’on maintienne sans justification des situations de rentes qui faussent la concurrence ?

Aucune profession ne peut réclamer des monopoles, leur maintien et leur extension par l’annexion des activités ouvertes et concurrentielles assumées par les avocats et refuser dans le même temps les conséquences de sa présence sur un marché ouvert et concurrentiel.

Le développement des sociétés pluriprofessionnelles est un formidable défi pour les avocats qui doivent en être les moteurs pourvu que nous abordions ensemble ces questions, Madame la Ministre.

1.2. Les réformes issues de la loi du 6 août 2015 nous offrent ainsi des opportunités formidables pour nous développer.

Nous disposons d’outils juridiques et des moyens structurels pour être leaders parmi les professions juridiques et judiciaires.

1.2.1. L’acte contresigné par avocat inscrit désormais dans le Code civil et les modes amiables de règlement des différends témoignent de la confiance de l’Etat dans notre profession, dans notre compétence et notre déontologie.

Ils représentent la sécurité juridique pour les particuliers et les acteurs économiques que les avocats garantissent.

Madame la ministre, pour parvenir pleinement et librement à cette sécurité juridique, il ne manque qu’une vertu à l’acte contresigné par avocat : sa force exécutoire.

Si vous aspirez à ce que le juge soit recentré sur sa mission régalienne, ce que nous partageons avec vous, vous devez nous permettre d’exercer pleinement nos missions.

Et ce n’est pas une injure faite aux officiers publics et ministériels que les avocats ne demandent pas à devenir.

Ils ne demandent pas l’authenticité de l’acte contresigné.

Ils demandent simplement que ce moyen de réguler les rapports sociaux et économiques qui leur est confié, remplisse son rôle, sans la solennité que l’authenticité comporte et qui n’est pas nécessaire dans un monde contractuel moderne, mais avec efficacité et sans entrave inutile.

Permettez-moi d’ajouter que la communication de nos concurrents notaires qui « vendent » le divorce sans juge comme étant le divorce devant notaire et qui publient à longueur de pages et de temps des informations fausses sur la portée de la loi nouvelle, justifie davantage encore la demande que je porte de la force exécutoire de l’acte contresigné.

Cette force exécutoire devient d’ailleurs dans les mois à venir l’outil des directeurs de CAF.

Le président de la Commission des lois du Sénat propose qu’elle soit l’outil des conciliateurs de justice.

Admettons dans un tel contexte que les avocats méritent une autre considération qu’un refus opposé à leur légitime demande.

La seule contrainte pour parvenir à ce progrès consiste à ne pas considérer les avocats comme des plaideurs impénitents et encombrants mais comme les acteurs à jour, eux, des nécessités du monde social et économique actuel.

1.2.2. C’est dans ce contexte que nous travaillons sur les outils structurels de notre exercice professionnel.

Nous voulons développer les sociétés pluriprofessionnelles d’exercice et nous travaillons sur la fin de l’unicité d’exercice prévue par les nouveaux textes qui permettent aux avocats associés d’une structure d’exercice de prévoir ou non un exercice professionnel exclusif.

La réforme du règlement intérieur national qui permet l’ouverture d’un bureau secondaire dans les locaux d’une entreprise, est un exemple parfaitement en phase avec ce mouvement.

Nous avons aussi :

  • encadré l’activité de lobbyiste ;
  • redéfini le champ d’activité professionnelle des avocats ;
  • assumé les conséquences de la loi qui a rendu obligatoire la signature de conventions d’honoraires ;
  • précisé les règles relatives aux dénominations des cabinets d’avocats ;
  • encadré la pratique des prestations juridiques en ligne ;
  • apporté des précisions aux règles régissant la collaboration.

Nous pouvons désormais développer « la commercialisation, à titre accessoire, de biens ou de services connexes à l’exercice de la profession d’avocat si ces biens ou services sont destinés à des clients ou à d’autres membres de la profession ».

Ces actes démontrent notre capacité à embrasser la nouvelle alliance que est la nôtre avec le public, tout le public, individus et acteurs économiques, de toute taille et où qu’ils se trouvent, en France, en Europe et dans le monde.

1.3. Cette alliance nouvelle se conjugue avec notre alliance historique avec le public, qu’il n’est pas question d’abandonner pour autant, c’est-à-dire notre concours à permettre l’accès au juge et au droit.

Sur ce point, Madame le garde des Sceaux, nous commençons à trouver avec vous la raison d’espérer la réforme indispensable du financement et du système de l’aide juridictionnelle, notamment parce que vous mettez en œuvre un dialogue entre votre ministère et celui de l’économie.

Il en est de même de l’étude des propositions que le conseil national soutient depuis des années et qui sont désormais à l’ordre du jour.

Dans ce cadre, vous savez pouvoir compter sur le Conseil national qui aspire à travailler de manière ouverte et constructive, pour avancer sur des propositions concrètes et raisonnables.

***

Monopoles à combattre, nouveaux outils et nouvelle économie des cabinets se conjuguent nécessairement avec la révolution numérique.

2) Numérique

2.1. La révolution numérique est beaucoup plus qu’une révolution technologique.

Nous passons d’une économie de production autonome des biens à une économie de « concentration de la valeur dans les applications utilisées par des milliards d’individus connectés en réseau » pour assurer la production.

Tandis que nous changeons de modèle nous devons adapter le droit et sa nature ainsi que la profession d’avocat qui n’échappe pas à l’exigence d’adaptation aux nouveaux modèles.

Nous n’imaginions pas il y a 10 ou 15 ans les conséquences de l’irruption du numérique dans notre manière de concevoir et de faire de droit, ou dans notre exercice professionnel.

Plateformes numériques de conseil juridique, intelligence artificielle appliquée au droit, relations dématérialisées avec les juridictions, cloud souverain de la profession d’avocat, sites internet d’avocats, présence sur les réseaux sociaux : tel est désormais notre quotidien numérique de professionnels du droit et d’auxiliaires de justice connectés et interconnectés.

2.2. Parallèlement, la nouvelle ère initiée par la révolution numérique a profondément modifié les usages du public.

Le droit en général est désormais facilement accessible partout et par tous tandis que l’information juridique devient gratuite.

Notre prestation de services, développée dans cet espace concurrentiel que constitue le marché, ne trouve plus sa valeur dans la diffusion d’un savoir prétendu mais dans l’analyse des situations, leur adaptation à la règle de droit et dans la stratégie.

Ces changements impliquent des modifications profondes de nos usages et de notre offre qui doivent répondre à cette demande de droit.

Dotés des outils numériques indispensables, nous nous adapterons à cet environnement, pourvu que nous nous attachions à préserver notre différence.

Cette différence tient à notre compétence et elle tient à notre déontologie.

Le défi n’est pas pour nous de la concevoir et de la maintenir, il est celui de la démontrer à un public qui attend des prestations instantanées, pécuniairement encadrées et de nature à valider la connaissance qu’il a cru obtenir de l’information universelle dont il bénéficie.

Le numérique nous impose par conséquent une présence accrue sur un marché envahi. Il nous impose de nous y investir intellectuellement et financièrement.

2.3.L’un des enjeux essentiels des 5 à 10 prochaines années réside ainsi dans notre capacité à intégrer ou à développer nous-mêmes des outils technologiques capables de faciliter notre exercice professionnel ainsi que de savoir comment y intégrer l’intelligence artificielle.

Il ne s’agit plus seulement de créer de simples sites qui vont proposer des services ordinaires à une clientèle blasée dont les besoins ont changé.

Nous devons proposer des services différents et meilleurs que ceux des marchands.

Ce sont ici les enjeux de l’acte contresigné par avocat 100% numérique, de notre investissement dans la « Blockchain » ou les « smart contracts », la justice prédictive et le traitement coordonné et intelligent du « big data ».

Nous devons achever notre révolution intellectuelle, notre révolution culturelle et nous devons parachever notre révolution économique en investissant dans les « legal techs ».

Nos incubateurs démontrent combien nous en sommes capables. Ils sont une formidable démonstration de notre mouvement.

Le Conseil national doit veiller à ce que chaque avocat puisse disposer d’un égal accès à cette offre pourvu que chaque confrère en ait intégré la nécessité.

Il est votre interlocuteur Madame la ministre, dans la perception qu’il partage avec vous de l’importance du numérique comme moyen de rendre la justice plus accessible, plus rapide, plus efficace et plus transparente.

N’avez-vous pas déclaré : « Le ministère de la justice est resté au stade de l’informatique, il n’a pas encore franchi le pas du numérique » ?

La transformation numérique constitue l’un des 5 chantiers que vous avez lancés il y a moins de 2 semaines à la Chancellerie puis à Nantes.

Vous avez indiqué que le « plan de transformation numérique doit partir des besoins des justiciables et des professionnels de la justice ».

Nous y serons particulièrement attentifs vous le savez et nous entendons bien travailler avec vous et vous présenter nos propositions.

3) Territoires

3.1. Longtemps les avocats ont vécu sur un modèle d’exercice professionnel reposant sur une territorialité limitée.

Dans le cadre du ressort de nos tribunaux de grande instance, les maître-mots étaient maillage territorial, proximité, rattachement à un barreau et postulation.

Cette conception relève désormais de l’exception si ce n’est de l’histoire.

D’une part puisque les avocats exercent désormais et davantage chaque jour en plus grand nombre, en dehors des juridictions et donc indifféremment des territoires physiques.

D’autre part puisque les avocats qui exercent en relation avec les juridictions développent au quotidien les raisons de ne pas se rendre au tribunal mais de régler les différends autrement : ce sont les enjeux de la médiation, de la procédure participative, de l’arbitrage, du droit collaboratif, de l’acte contresigné etc… qui sont affranchis des territoires physiques.

Enfin puisque la révolution numérique a convaincu tous les acteurs, avocats compris, que l’accès au droit n’avait pas de frontière et ne devait souffrir d’aucune entrave physique.

Elle a permis et permet l’accès à toutes les juridictions et administrations sans aucune référence à l’espace.

La question n’est ainsi pas de savoir si la profession accepte ou non d’évoluer sur le sujet mais celle de concevoir qu’indépendamment de toute intention le changement se produit sans autre arbitrage que celui de l’évolution.

Le phénomène est digne du darwinisme.

3.2. Internet est un espace, un territoire qui transcende celui du lieu physique de notre cabinet, de la ville où les avocats sont installés, du barreau, du TGI et de la Cour d’appel auxquels nous sommes rattachés.

Autrement dit, là où les avocats sont physiquement, ils ne sont pas exclusivement.

Nous devons ainsi concevoir la déconnexion de nos activités de la localisation des juridictions.

Ce nouveau territoire n’a d’autres bornes que celles que les avocats y mettent eux-mêmes.

Or, notre compétence et la sécurité juridique qui l’accompagne, notre déontologie et l’exemplarité qui l’accompagne, sont affranchies des territoires physiques.

Le Web les sites, les plateformes, les réseaux sociaux, constituent le territoire, notre territoire d’exercice du droit, le lieu où précisément nos valeurs constituent autant d’avantages concurrentiels.

Puisque la profession d’avocat dispose d’un important capital confiance, que la confiance est dans notre ADN, que l’économie numérique a besoin de confiance, les avocats retissent dans cet espace le pacte social qui les unit avec le public.

3.3. Madame la ministre, la question des territoires, que vous avez appelée « adaptation de l’organisation judiciaire », doit être abordée par l’une des 5 missions que vous avez lancées le 6 octobre dernier.

Dans le cadre d’une concertation, vous souhaitez redéfinir « les principes qui doivent sous-tendre notre organisation judiciaire et proposer les différentes options pour l’organisation de la justice de demain ».

Vous avez indiqué que « cette réforme doit se faire en conservant le maillage actuel de nos juridictions et en maintenant les implantations judiciaires actuelles. Ces adaptations ne se traduiront par la fermeture d’aucun lieu de justice ».

Vous connaissez la sensibilité à fleur de peau des avocats sur ces questions.

Elle a été testée très maladroitement il y a 10 ans par l’un de vos prédécesseurs. Nous avons ainsi connu la suppression d’une vingtaine de barreaux liée à la disparition d’autant de TGI.

Nous sommes ainsi particulièrement attentifs aux précisions que vous pourrez apporter aujourd’hui sur ce point.

Le Conseil national des barreaux contribuera de manière constructive et audacieuse à la réflexion que vous avez initiée.

Il le fera d’autant plus et d’autant mieux que désormais la dimension numérique s’est invitée autour de la table.

La question n’est sans doute plus celle de l’implantation géographique des juridictions mais celle de la relation entre les juridictions et les citoyens, celle de la relation des avocats avec les juridictions, celle par conséquent du concours que vous admettrez des avocats au développement du service public régalien de la justice.

Certains de nos concurrents soutiennent que leur concours est de s’installer dans les trains et les cafés pour y asseoir leurs monopoles et qu’ils doivent y faire identifier leurs mérites.

Les avocats n’ont pas d’autre ambition que celle de servir, en professionnels libres et indépendants, une justice qui doit accepter le lien entre la régulation du pacte social et ses acteurs que sont les avocats.

III- L’attractivité d’une profession extraordinaire

Les perspectives que je viens de tracer sont exaltantes. Elles montrent que l’avenir est ouvert, pour peu que nous soyons hardis et que nous décidions de l’apprivoiser, d’en être les acteurs et non les spectateurs.

Notre responsabilité est de continuer à rendre notre profession attractive.

Libres et indépendants, exigeants et conquérants, ouverts au monde nouveau nous en sommes capables pourvu que le désir de nos valeurs nous inspire.

1) Notre déontologie et notre obligation au secret professionnel sont les fondements de notre identité et de notre unité.

A mesure que les conditions d’exercice de notre profession évoluent et mutent, nos règles doivent être adaptées afin de continuer à en faire un avantage concurrentiel.

Que l’on ne se méprenne pas. Nous n’avons ni le fanatisme de la rigidité ou de l’intangibilité de nos règles, ni la manie de la réforme ou du démantèlement de nos principes essentiels. Entre ces deux écueils, la voie n’a rien d’étroite, elle est celle de notre progrès et de notre développement.

Notre déontologie peut nous y aider.

2) Notre indépendance est la garantie du bon fonctionnement de notre système juridictionnel. Elle garantit également que nous défendons, assistons, conseillons, rédigeons des actes pour nos clients de la manière la plus intransigeante et détachée de toute pression, de tout intérêt, de toute connivence.

Notre indépendance ne saurait être atteinte ou diminuée par la remise en cause du secret professionnel que nous devons à nos clients. L’existence de ce secret est une garantie fondamentale de l’Etat de droit et de l’équilibre entre les citoyens et les pouvoirs publics.

Madame la ministre, plus le secret sera rétréci, plus notre démocratie sera en danger et plus les citoyens se sentiront en danger car ils ne trouveront plus personne en qui avoir confiance. Et sans confiance, c’en est fini de l’adhésion au pacte social.

3) Notre diversité est notre richesse. Ce n’est pas une formule creuse ou rhétorique. C’est la réalité. Car c’est cette diversité qui permet au public de trouver dans notre profession le bon interlocuteur, compétent, spécialiste.

C’est cette diversité qui permet à chacun de nous de s’épanouir professionnellement.

Quelles que soient les raisons pour lesquelles chacun d’entre nous est devenu avocat, quels que soient nos champs ou nos modalités d’exercice, nous avons les moyens d’exercer notre profession librement, de manière indépendante. C’est cela que nous devons préserver et développer.

Il y a autant de métiers que d’avocats.

Nous pouvons nous retrouver sans peine dans le fait d’être les vigies intransigeantes des droits et des libertés, les lanceurs d’alerte de l’Etat de droit quand il dysfonctionne, quand la sécurité prend le pas sur les libertés et quand l’exception devient malheureusement la norme comme nous le vivons en ce moment avec le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

4) Notre attractivité vient aussi de notre capacité à identifier, à créer, à investir et à développer des champs d’activité correspondant aux besoins de droit.

4.1. Un des chantiers importants de la mandature qui s’achève a porté sur l’investissement des MARD par les avocats.

Le mouvement important de déjudiciarisation que nous connaissons représente une opportunité. L’Etat favorise le recours aux modes amiables de règlement des litiges : procédure participative, médiation, conciliation. Il nous met nous, avocats, au centre de ces dispositifs. Il nous fait confiance. Cette confiance vient de notre déontologie et de notre formation.

Il faut donc résolument s’engager dans ces voies alternatives. Nous y voyons :

-La possibilité de sécuriser ces procédures amiables grâce à la plus-value de notre déontologie.

-Un moyen efficace de libérer le juge de tâches qui peuvent être accomplies par les avocats et qu’il viendra simplement homologuer.

-L’opportunité de développer une autre image de l’avocat auprès du public, en mettant en lumière l’importance notre rôle de conseil et de stratège dans le cadre d’une justice négociée.

4.2. Il existe des gisements d’activité inexploités ou à développer sérieusement comme par exemple :

  • -Les territoires : comprendre les besoins de droit des collectivités territoriales, développer le conseil en droit public.
  • -Les personnes : développer l’accompagnement juridique des mineurs, des personnes âgées ; investir le droit de la protection des données personnelles pour répondre aux avancées technologiques.
  • -Les entreprises : investissons tout ce qui touche à la compliance et à la responsabilité sociale des entreprises ; créons un véritable droit des start-up par exemple.

Et appuyons-nous sur l’Observatoire du Conseil national des barreaux pour identifier et étudier les nouveaux marchés.

Appuyons-nous sur les travaux du CREA que nous avons relancés et dont le rapport d’activités est désormais disponible.

L’horizon de nos activités est ouvert, largement ouvert. A nous d’en profiter.

5) Notre ouverture c’est également notre capacité à être attentifs à ce qui passe en dehors de nos frontières.

Permettez-moi d’adresser un salut particulier à nos invités étrangers qui viennent des 5 continents et représentent toutes les traditions juridiques.

Ils viennent de :

(cf. liste délégations étrangères)

Nous le savons, l’avenir de la profession d’avocat se joue au-delà de notre hexagone, dans les instances internationales où se construit le droit de demain et où se décide le futur de la profession, qu’il s’agisse de l’Union européenne, des Nations-Unies, du Conseil de l’Europe qui entame le processus de rédaction d’une convention européenne des avocats, de l’Organisation mondiale du commerce ou des juridictions pénales internationales.

A nous d’y porter notre influence.

La politique internationale du Conseil national des barreaux s’illustre aussi dans l’indispensable travail accompli pour identifier et ouvrir des marchés porteurs sur lesquels les avocats français vont accompagner leurs clients.

Tel est un des objectifs qui guide la conclusion des conventions de coopération que nous signons avec nos homologues étrangers.

L’ouverture sur le monde, c’est aussi une formation professionnelle qui envoie nos futurs confrères se former à d’autres cultures juridiques, à d’autres manières de travailler, pour ensuite enrichir notre profession et nos barreaux, pour faire profiter nos clients de leurs compétences.

L’ouverture sur le monde c’est développer notre attractivité pour attirer en France les talents juridiques et les acteurs économiques, entreprises et investisseurs, afin de positionner la France comme la place de droit en Europe.

L’investissement du Conseil national dans la création d’un code européen de droit des affaires, soutenu par le Président de la République lors de son discours à la Sorbonne, participe de cette attractivité, de même que notre investissement dans l’évaluation des conséquences du Brexit.

* *

*

Mes Confrères,

Vous voyez, Edward Young avait raison. Nous n’avons pas attendu l’orage.

Mais voyez-vous, la tempête ne viendra pas.

Si les faveurs du ciel ne sont pas des récompenses, peu nous importe, nous n’attendons rien en termes de faveur.

Notre vocation est ailleurs : servir ceux qui affrontent les orages et les tempêtes, telle est notre vocation.

Notre détermination de professionnels libres et indépendants permet d’avancer dans l’unité et donne à chacun de nous les moyens de réussir.

Notre engagement pour les autres nous impose de réussir notre mutation.

Ce n’est pas un choix, ce n’est pas une aventure, c’est une certitude, la certitude du progrès.

Être avocat c’est aimer la vie, celle des autres, non pour nous-mêmes, mais pour ceux que nous avons fait profession de servir.

Allons vers eux avec notre indépendance, notre liberté, notre déontologie, notre courage.

Mais aussi avec notre audace, notre créativité, notre imagination, notre capacité d’innovation !

C’est la voie que le Conseil national des barreaux ouvre et sur laquelle il vous invite à vous engager résolument.

Pour continuer à être toujours avocats !

Voulez-vous que nous partagions un projet d’avenir :

« Si l’avenir est déjà en vous, comme un germe transmis du plus lointain passé, qu’il y soit donc aussi comme désir de progrès, comme volonté d’amélioration, comme vœu fraternel pour le bonheur de ceux qui doivent vous suivre. Avancez vers cette vie ignorée qu’on appelle l’avenir, travaillez pour lui, il naîtra ».

Au fond plus simplement que ne l’écrivait ainsi Jules Michelet, je voudrais partager avec vous cette certitude de Victor Hugo :

« Les plus belles années d’une vie sont celles que l’on n’a pas encore vécues. »

Je vous remercie.