Retrouvez les discours de Christiane Féral Schuhl, présidente du CNB et de Thomas Andrieu, directeur des affaires civiles et du sceau, lors des États généraux du droit de la famille et du patrimoine, le 25 janvier 2018.
Christiane Féral-Schuhl devant les deux-mille avocats présents aux États généraux du droit de la famille - Crédit : Brian du Halgouet
Discours de Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB le 25 janvier 2018 à la Maison de la Chimie (extraits)
Discours de Thomas Andrieu , directeur des affaires civiles et du sceau le 25 janvier 2018 (extraits)
Discours de Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB le 25 janvier 2018 à la Maison de la Chimie
Monsieur le directeur des affaires civiles et du Sceau,
Chers Confrères,
Mesdames et Messieurs,
Vous êtes plus de 2000 inscrits
Vous êtes très impressionnants.
Vous êtes certainement la meilleure illustration de ce que nous pouvons représenter, nous les avocats, lorsque nous sommes unis : une force solidaire que rien n’arrête.
N’est-ce pas, Monsieur le directeur des affaires civiles et du sceau, qu’il vous sera difficile de ne pas accéder à la demande de ce barreau de la famille, ici rassemblé, quant à la reconnaissance de la force exécutoire de l’acte d’avocat en matière de divorce par consentement mutuel ? Pour commencer...
Chers confrères, l’unité de la profession, que j’ai appelée de mes voeux et que je réalise depuis le 1er janvier avec l’ensemble des membres du CNB, nous vous la devons, vous nous la réclamez, je m’y engage. Car elle est la condition de nos succès communs et de notre avenir collectif. Vous en êtes le meilleur exemple. Car vous avez réussi. Vous inspirez la profession toute entière.
En regardant cette salle pleine à craquer, quand je suis arrivée, je me disais qu’il était loin le temps où des ténors autoproclamés du barreau parlaient avec condescendance des “jafettes”.
Qu’il est loin ce temps. d’un autre siècle...
Car le barreau de la famille, votre barreau, est désormais le barreau pionnier de la profession. Vous êtes à l’avant garde de nos combats :
- pour un avocat au cœur de la cité
- pour un avocat pilote dans les modes amiables de réglement des litiges
- pour un avocat qui accompagne son client à toutes les étapes de sa vie
- pour un avocat qui sait prendre toute sa place lorsque les pouvoirs publics éclipsent le juge
- pour un avocat, qui est le plus souvent une avocate et qui veut une profession où l’égalité femme/homme devienne une réalité.
Vous avez intitulé ces Etats Généraux “ Familles sans frontières” mais la frontière, c’est vous qui l’avez repoussée ! Notre profession ne cesse de parler d’innovation et de renvoyer ce concept aux acteurs du numérique, aux legaltechs, mais l’innovation majeure de la profession de ces dernières années et des prochaines, c’est vous, le barreau de la famille, qui l’avez portée et qui continuez sur cet élan que rien n’arrête !
Cela n’a pas été sans mal, sans inquiétude ni sans débats.
Le recul du recours au juge n’a pas toujours fait l’unanimité.
Mais un an après cette réforme, que constatons-nous ?
- Que lorsque le juge s’efface, c’est l’avocat qui s’avance et prend sa place ;
- Que la déjudiciarisation a entraîné le développement des modes amiables.
Un an après, vous pouvez être fiers du chemin parcouru.
C’est grâce à vous et grâce à la manière dont vous vous êtes emparés du nouveau divorce par consentement mutuel et des modes amiables que je peux le dire aujourd’hui devant le directeur des affaires civiles et du Sceau, cher Thomas Andrieu : oui la profession a démontré toute sa capacité à obtenir la force exécutoire pour l’acte d’avocat.
Oui les choses vont continuer à bouger. La réforme à venir de la procédure civile peut inquiéter certains d’entre vous. Nous serons vigilants. L’Assemblée générale du CNB va se prononcer les 16 et 17 février prochains, point par point, sur toutes les propositions présentées à la Chancellerie.
Profitez de ces Etats généraux pour vous prononcer sur ces projets et nous faire remonter vos attentes, vos alertes, vos préoccupations et vos propositions. L’Assemblée générale du CNB étudiera cette réforme à la lumière de vos travaux.
Cette réforme de la procédure civile, nous devons l’attraper au vol et proposer ce que nous voulons en faire. Nous allons accompagner, demain, les justiciables dans la contractualisation du droit de la famille, nous serons les pionniers de cette contractualisation qui va croissant. Je le redis : là où le juge recule, l’avocat ne recule pas: il peut prendre sa place.
Mais je le dis aussi: nous comptons bien peser de tout notre poids pour que les justiciables et leurs avocats puissent continuer à avoir accès au juge lorsque cela est nécessaire.
A ce titre, je dois vous avouer que la proposition tendant à supprimer la tentative de conciliation préalable fait beaucoup réagir le barreau, Monsieur le directeur. Il va falloir étudier ce sujet en détail. Sachez que nous serons extrêmement vigilants sur ce point.
Cette réforme de la procédure civile propose aussi quelques opportunités: dans ce qui va rester judiciarisé, nous nous battons - et on nous a en partie entendu, Monsieur le directeur - nous nous battons pour que la représentation obligatoire gagne du terrain pour devenir la norme.
Nous avons aussi noté que les propositions formulées à la Chancellerie reprenaient la position du CNB sur la promotion de la procédure participative, y compris la procédure participative de mise en état, et des autres MARD.
Pour tracer une perspective simple, demain l’avocat sera l’architecte de la contractualisation du droit de la famille et le représentant obligatoire des parties devant les juges.
Cela n’effacera pas toutes vos inquiétudes légitimes, mais reconnaissez qu’il y a de quoi réfléchir…
Pour ma part je le dis très clairement : il faut repenser la procédure civile, la simplifier pour l’humaniser. Et l’avocat est ce vecteur d’humanité. La simplifier mais ne pas la précariser. Et nous serons vigilants sur ce point.
Voilà pour les nouvelles frontières.
Il y a en a d’autres qui vont occuper vos travaux aujourd’hui et demain.
Il y a trois frontières à explorer, peut-être même dépasser :
- une frontière, que vous ne cessez de repousser, du droit de la famille, qui devient un droit conquérant
- la frontière réelle, géographique qui n’est plus la limite sociale des familles d’aujourd’hui
- la frontière de l’éthique, qui vient se confronter à l’œuvre de droit.
La pratique du droit de la famille ne cesse de s’étendre. Les aspects patrimoniaux et extra patrimoniaux doivent être traités en amont. Vous êtes donc de plus en plus amenés à offrir aux justiciables un service le plus complet possible, dans un temps le plus rapide possible.
Parce que vous êtes aussi capable d’anticiper les difficultés qui peuvent naître, plus qu’aucune autre profession ne peut le faire.
Sur ce sujet du temps, Monsieur le directeur des affaires civiles et du sceau, la durée des procédures de liquidation de régimes matrimoniaux après le divorce pose problème. Il nous faut travailler sur une meilleure articulation entre cette procédure et le divorce.
Les frontières géographiques, culturelles, sociales n’existent plus pour les familles d’aujourd’hui : elles sont nomades, elles sont libres, libérées, différentes. Les familles changent avec la société et les mentalités. Le droit français doit faire avec ce nouveau monde de la famille.
L’avocat n’a, me semble-t-il, pas à prendre une position morale sur ces sujets. Mais il doit veiller à ce que les valeurs de droit et d’éthique soient respectées. Le système actuel conduit nombre de nos concitoyens à contourner la loi. Cela doit nous interroger, collectivement. Encore une fois, la société pousse les juristes à réagir.
Parfois, ce sont les juristes, les avocats qui interpellent la société. C’est le cas sur l’accueil et la protection des enfants réfugiés. Un atelier de ces Etats généraux y est consacré. La situation des enfants réfugiés dans notre pays est plus que préoccupante: elle est inacceptable. Déshonorante.
Cette société qui n’a plus de frontières ne comprend pas non plus certains “bugs”. Ainsi, comment comprendre que le nouveau divorce par consentement mutuel n’est pas exécutoire ou n’est pas reconnu dans tous les pays parce qu’il est un contrat et plus un jugement ?
Pourquoi ne pas permettre, dans des cas très limités, au justiciable d’avoir un recours au juge exceptionnel lorsque se présente un élément d’extranéité ?
Décidément, vous êtes le cœur battant d’un vaste mouvement de réformes et de révolutions.
Vous êtes aussi au centre de l’attention du CNB.
Le CNB va vous accompagner en mettant à votre disposition les moyens de travailler selon ces nouvelles orientations procédurales :
- Développement de la procédure participative de mise en état entièrement dématérialisée via la plateforme e-Barreau.
- Développement de la médiation dématérialisée via la plateforme CNMA que le CNB a mis à votre service afin de promouvoir les avocats médiateurs et les avocats accompagnateurs en médiation.
Vous l’avez compris, nous allons nous engager, prendre des positions et les faire valoir.
Et nous allons vous accompagner.
Comme les Etats généraux du droit de la famille vous accompagnent, depuis leur création par Béatrice Weiss Gout et Hélène Poivey Leclercq, que je tiens à saluer.
Des Etats généraux qui sont aujourd’hui animés et pilotés par une équipe de choc, Régine Barthélémy, que j’ai la joie de retrouver au bureau du CNB, Elodie Mulon, qui est une secrétaire exceptionnelle du bureau et Carine Denoit-Benteux, Président de la commissions Textes, qui ne cesse de plaider la cause du barreau famille auprès de tous ses interlocuteurs, sans oublier le comité scientifique qui travaille à leurs côtés. Je vous demande de les applaudir, elles ont travaillé nuit et jour pour vous.
Je pense aussi à toute l’équipe des collaborateurs du CNB et notamment de la direction de la communication qui se sont considérablement investis pour vous accueillir dans les meilleures conditions.
Je vous dis à l’année prochaine. Monsieur le directeur des affaires civiles et du Sceau, je vous invite à revenir dans un an, vous aussi. Pour que nous fêtions ensemble l’anniversaire de l’acte d’avocat de pleine exécution dans le divorce par consentement mutuel.
Je vous laisse donc la parole, sous l’œil attentif de ce barreau de la famille qui, avec ses 4000 oreilles tendues vers vous, attend de bonnes nouvelles et la reconnaissance de ce qu’il est : une force vive et sensible au cœur de la société civile.
Je vous remercie.
Seul le prononcé fait foi
Discours de Thomas Andrieu, directeur des affaires civiles et du sceau le 26 janvier 2018
Chère présidente Feral-Schuhl,
J’ai beaucoup de plaisir à venir aujourd’hui à la 14ème édition des Etats généraux du droit de la famille et du patrimoine.
Cette manifestation est devenue une belle tradition, vivante, pour les praticiens du droit de la famille. Je remercie tout particulièrement Maîtres Barthélémy, Denoit-Benteux et Mulon pour leur talent d’organisatrices.
La garde des sceaux aurait souhaité être là. Elle m’a chargé de vous transmettre sa confiance et son amitié car elle sait à quel point cette enceinte est précieuse.
Les Etats généraux me donnent l’occasion de faire le point sur les réflexions en cours à la Chancellerie, après une année particulièrement riche dans le domaine du droit de la famille.
La réforme du divorce par consentement mutuel, pour citer la plus commentée des réformes, traduisait une prise de conscience. Celle de la nécessité de réfléchir à la distinction entre ce qui nécessite une intervention de la puissance publique, en l’occurrence le juge, et ce qui peut relever d’un simple règlement entre parties.
Le discours du Président de la République à la rentrée solennelle de la Cour de cassation le 15 janvier dernier est sans ambiguïté.
« Une justice effective, c’est enfin une justice où l’activité du juge est recentrée sur le traitement des litiges qui le justifient (…). Le juge doit se consacrer aux situations dans lesquelles sa place est réellement nécessaire. Il s’agit donc de résister à cette tendance sociétale contribuant à l’extension permanente de son champ d’intervention.
La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle en a fait un objet important en introduisant le divorce par consentement mutuel par acte d’avocats (…). Je souhaite que ces évolutions soient poursuivies partout où ce sera possible. »
Trouver la bonne place du juge en s’assurant de la pleine garantie des droits : le rôle des avocats va encore croître dans les années qui viennent. Un avocat pas moins combatif, pas moins acharné à défendre l’intérêt de son client, mais surtout un avocat qui sait quand la recherche de l’accord vaut mieux que le contentieux. Ce que je dis vous paraît évident : vous le faites tous les jours.
Mais c’est parce que, dans la grande famille des avocats, l’avocat en droit de la famille n’est pas dans un univers à part. Il est un précurseur de ce que l’avocat doit être, de la manière dont il doit se positionner dans l’œuvre de justice.
Cette belle et immense profession d’avocat va continuer à évoluer dans les années qui viennent. Vous allez la modeler. Nos concitoyens appellent moins de leurs vœux une société administrée, s’appuyant sur la verticalité de la loi, qu’une société fondée, sinon sur la confiance, en tout cas sur la réciprocité, sur la reconnaissance mutuelle des intérêts de chacun.
Nous devons donc poursuivre nos réflexions, dans le domaine du droit de la famille, sur la place qui doit être donnée au juge. Le premier bilan tiré de la loi de modernisation de la justice du 21ème siècle nous conduit à poursuivre dans cette voie (I), pour une procédure plus efficace (II) ; c’est un autre bilan, celui de la réforme des tutelles de 2007, qui nous conduira, par ailleurs, à œuvrer au cours de l’année qui s’ouvre (III).
I - Après la réforme du DCM : poursuivre la « philosophie » de la loi J21
L’année écoulée a été marquée par le succès de la mise en œuvre de la réforme, je l’invoquais à l’instant, du divorce par consentement mutuel par acte d’avocat déposé aux rangs des minutes d’un notaire.
Cette innovation de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle répondait à un objectif de simplification et une attente des couples, qui lorsqu’ils se sont mis d’accord sur le principe du divorce et sur ses conséquences, ne souhaitent pas comparaître devant un juge.
Cette « déjudiciarisation » est également un choix clair de recentrer le juge sur sa mission essentielle, celle de trancher des désaccords, dans des situations de déséquilibre.
Ce sont des choix que la Chancellerie assume pleinement.
La moindre intervention du juge est, je l’indiquais en introduction, mécaniquement compensée par le renforcement du rôle de l’avocat.
Ainsi, le divorce par consentement mutuel repose essentiellement sur les avocats, témoignant ainsi de la confiance forte de l’Etat envers les professionnels du droit que vous êtes. Chaque époux doit désormais être assisté et bénéficie ainsi d’un conseil indépendant et individuel afin de garantir que l’équilibre de la convention préserve l’intérêt supérieur de l’enfant et les intérêts de chacun des époux.
Vos travaux durant ces deux jours témoigneront de ce que les avocats ont su se saisir de cette évolution profondément novatrice de notre droit et prendre la mesure de la responsabilité qui leur a été confiée.
Les colloques et séminaires organisés tout au long de l’année, les nombreuses publications, les chartes de bonnes pratiques signées par des représentants des barreaux et des notaires témoignent d’ores et déjà du volontarisme avec lequel vous vous êtes approprié ce nouveau dispositif.
Un premier bilan le démontre parfaitement :
Désormais, d’après nos statistiques, l’immense majorité des divorces par consentement mutuel n'est plus judiciaire.
Entre janvier et novembre 2016, la baisse des divorces par consentement mutuel judiciaire est de 95,35%. Il s’en déduit que l’essentiel des divorces par consentement mutuel, qui concernent, chaque année, environ 70 000 couples, sont désormais réalisés selon les nouvelles dispositions. Les divorces par consentement mutuel qui sont restés judiciaires correspondent aux hypothèses, très résiduelles, de demande d’audition d’enfants.
Je sais les inquiétudes qui avaient pu être émises sur l’hypothèse d’une explosion corollaire du nombre des divorces contentieux, mais les statistiques ne montrent qu’un accroissement inférieur à 10 %, ce qui est limité, et très probablement transitoire.
On le voit, ce divorce répond manifestement aux attentes de très nombreux couples.
S’agissant des craintes relatives à un éventuel accroissement de la conflictualité en matière d’autorité parentale après le divorce, la Chancellerie sera très vigilante dans les années à venir pour observer si un tel phénomène apparaît pour, le cas échéant, y répondre.
Je relève toutefois que l’on avait, déjà !, les mêmes craintes à l’égard du divorce par consentement mutuel judiciaire. Or, l’étude du pôle statistique de la DACS réalisée en 2014 démontre que le taux de conflictualité après divorce par consentement mutuel était très significativement inférieur à celui constaté en cas de divorce contentieux.
Je n’ignore pas, non plus, que la question de la reconnaissance de ce nouveau divorce à l’étranger vous préoccupe, elle sera d’ailleurs largement évoquée au cours de vos travaux.
Le besoin de voir circuler des accords exécutoires est particulièrement fort en matière familiale. Plusieurs Etats de l’Union européenne connaissent déjà des formes de divorces déjudiciarisés. D’autres Etats envisagent une telle possibilité pour l’avenir. La France a certainement fait preuve en la matière d’un réalisme précurseur en répondant aux attentes de nos concitoyens.
Je ne doute pas que ce mouvement prendra de l’ampleur et nous permettra d’adapter, si nécessaire, les textes internationaux applicables en la matière. C’est dès à présent la parole portée par la France dans le cadre des renégociations en cours du règlement Bruxelles II bis.
Je vous redis donc la satisfaction du ministère de la justice face à cette réforme ambitieuse, dont il appartient désormais aux praticiens que vous êtes d’amplifier le succès.
Au-delà du premier bilan de cette réforme du divorce, je voudrais aussi et surtout évoquer avec vous, ce matin, les perspectives futures pour le droit de la famille et les réformes envisagées.
II – Le chantier de réforme de la procédure civile : vers une justice familiale plus lisible et plus effective
Le 15 janvier dernier, le rapport sur l’amélioration et la simplification de la procédure civile, l’un des cinq chantiers de la justice, a été remis à Madame la Garde des Sceaux.
Ce rapport propose de profondes et innovantes modifications de notre procédure civile afin de rendre la justice plus accessible et plus efficace pour le justiciable.
Des pistes d’évolutions importantes sont avancées pour la matière familiale. Un champ de possibles est ici ouvert pour la réforme à venir, dont les avocats seront un acteur incontournable.
Je voudrais aujourd’hui lancer avec vous cette réflexion car nous attendons beaucoup de nos échanges avec votre profession pour les travaux des mois à venir sur la réforme de la procédure civile.
► Parmi les idées forces, il est proposé une procédure civile simplifiée avec une homogénéisation des procédures, un mode de saisine unique de la juridiction et une mise en état dynamique.
A cet égard, l’avenir des procédures propres à la justice familiale dans ce schéma procédural civil repensé, unifié et homogénéisé fera l’objet d’intenses réflexions. Nous devrons nous interroger sur les spécificités dont la préservation serait justifiée.
► Ainsi, l’une des propositions du rapport vise à supprimer l’audience de conciliation, ce qui impliquerait que les mesures provisoires puissent être prises par le juge, après la saisine au fond de la juridiction, dans le cadre de la mise en état par exemple.
Dans un tel cadre, il conviendra de réfléchir à la place que pourrait occuper l’audience sur les mesures provisoires, et à la place de l’oralité, qui par sa souplesse favorise l’émergence des accords sur l’organisation de la vie des enfants. Une telle audience suppose la comparution personnelle des parties.
► La question de l’effectivité de la justice avec notamment l’exécution des décisions de justice en matière familiale a reçu une attention particulière du groupe de travail.
Il nous faudra donc réfléchir aux voies d’exécution forcée susceptibles d’être mises en œuvre en matière extrapatrimoniale, tout en conservant à l’esprit qu’il est nécessaire d’inciter, avant tout, à l’exécution spontanée des décisions.
► Le rapport met en avant la place nouvelle qu’il faudra donner aux modes amiables de règlement des différends.
Il faudra trouver des leviers pour renforcer à tous les moments de la procédure les possibilités pour les parties de trouver des accords respectueux des droits de chacun et conformes à l’intérêt supérieur des enfants. La médiation avant l’instance ne peut plus être la seule réponse et la procédure participative, pour laquelle vous êtes très mobilisés, je le sais, sera un outil clef en ce sens.
►La proposition 22 du rapport préconise l’extension progressive de la représentation obligatoire par avocat dans la quasi-totalité des matières civiles.
J’imagine sans peine que cette proposition ne vous laisse pas indifférents.
Il faudra réfléchir ensemble et s’interroger sur une extension totale ou non à la matière familiale afin de répondre à la spécificité de ce contentieux et aux enjeux d’accès au juge pour le justiciable – notamment le défendeur- dans une matière qui, en outre, doit pouvoir rester incarnée et directe.
► Dans le but de poursuivre le recentrage de l’institution judiciaire sur les questions nécessitant la prudence et l’autorité du juge, le groupe de travail a proposé, en annexe au rapport, des pistes de déjudiciarisation. Nombreuses sont celles qui concernent le droit de la famille.
Sont mentionnés, par exemple, les changements de régime matrimonial sans opposition, les acceptations et renonciations à succession, le consentement en matière d’aide médicale à la procréation ou encore et, c’est peut-être plus inattendu, la modification du montant de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant.
Des choix devront être faits, comme cela a déjà été fait pour le divorce, en gardant sans cesse vivante l’idée de préserver, bien sûr l’intérêt de l’enfant, mais aussi l’équilibre entre les droits de chacun et la nécessité de réserver un accès au juge dans les situations où un arbitrage judiciaire reste indispensable.
Loin d’un désengagement de l’Etat, il s’agit non seulement d’offrir une justice plus lisible mais également plus disponible pour favoriser la restauration d’un dialogue étroit entre le juge et l’avocat, dialogue indispensable à la bonne appréhension des dossiers en particulier en matière familiale.
►Le recours aux nouvelles technologies, enfin, figure au cœur des propositions du rapport. C’est un enjeu incontournable pour la justice de demain.
Je suis certain que la numérisation permettra, avec le concours déterminant du barreau, de limiter les étapes formalistes et de recentrer les greffiers et les juges sur leurs missions essentielles. L’introduction du numérique ne doit toutefois pas nuire à la fluidité des relations, à la qualité des échanges entre les juges et les avocats, dont je tiens à souligner encore l’importance. Il ne s’agit pas de mettre des obstacles à l’accès au juge.
Nous ne voulons pas d’une justice désincarnée et il faut préserver l’indispensable dialogue entre les professionnels de justice.
► La dernière proposition en matière de procédure que je souhaite évoquer concerne la mise en état.
Le groupe de travail a choisi de favoriser la procédure participative. Il s’agit bien sûr d’une réforme majeure, pour laquelle nous aurons encore besoin de votre énergie et de votre détermination à vous emparer des innovations.
Les avocats qui feront le choix d’organiser eux même cette phase de mise en état du litige indiqueront le temps qu’ils estiment nécessaire. Ils obtiendront alors une date de clôture, mais également une date d’audience prioritaire déterminée dès le 1er rendez-vous judiciaire.
Vous voyez la diversité et la richesse des propositions qui sont faites. Vous voyez à quel point ces propositions sont conçues à l’aune de la capacité d’engagement des avocats.
La garde des sceaux souhaite que les réformes à venir soient ambitieuses. Mais elle désire avant toute chose que la justice et la procédure civile se modernisent pour répondre aux besoins importants et légitimes de nos concitoyens.
C’est cet état d’esprit qui devra guider l’un des autres chantiers majeurs de 2018.
III- La protection des majeurs vulnérables, une priorité
Comme vous le savez, la protection juridique des majeurs est une priorité du Président de la République. Il a en effet rappelé lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation son attachement à la protection des personnes les plus vulnérables et la nécessité de procéder à des réformes, afin de délimiter plus clairement les champs de l’action sociale et de la protection judiciaire. Le Président de la République a affirmé que « la réponse ne passe pas forcément par l’intervention le juge des tutelles mais suppose une lutte contre la pauvreté et en faveur de l’inclusion. »
A cet égard, le groupe de travail interministériel et interprofessionnel annoncé par Madame la garde des sceaux le 8 novembre dernier aux assises nationales de la protection juridique, sera installé au cours de ce trimestre, afin de réfléchir aux évolutions nécessaires pour garantir les droits fondamentaux des majeurs protégés.
Une réflexion pourrait être menée sur l’opportunité d’une mesure judiciaire unique, prononcée par un «juge de la protection des majeurs» recentré sur sa mission de garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux.
En effet, il doit être tiré des conclusions du fait qu’en pratique, lorsqu’une tutelle est prononcée, elle s’applique par principe à tous les actes sans graduation de la mesure. Or, la décision judiciaire devrait être adaptée à chaque situation individuelle.
La réflexion devra également porter sur l’exercice des droits fondamentaux des majeurs protégés. Je pense au droit de vote, au droit au mariage, aux discriminations subies et à la réalité de l’autonomie de la volonté en matière médicale et sociale. Il est également impératifaujourd’hui d’assurer un contrôle effectif des mesures. L’externalisation du contrôle des comptes de gestion est une piste de réforme mais il doit être tenu compte des plus démunis, qui ne peuvent en assumer le coût financier.
Bien évidemment, les avocats, « défenseur[s] des droits et des libertés des personnes physiques qu’il[s] assiste[nt] ou représente[nt] en justice et à l’égard de toute administration (…) » (article 6.1 du règlement intérieur national de la profession d’avocat consolidé au 1er août dernier), ont une place importante à prendre auprès des personnes vulnérables.
Certes, il existe des lieux de réflexion sur le sujet, à l’instar des sous-commissions "Majeurs vulnérables" dirigée par Maître Florence Fresnel et « Protections des personnes vulnérables » dirigée par Maître Isern-Real au sein de la Commission ouverte Famille du barreau de Paris, mais l’investissement des avocats dans cette activité est encore récent.
Pourtant l’avocat est sans doute le plus à même de faire valoir auprès du juge le point de vue du majeur, qui n’est pas forcément celui des requérants mais n’est pas non plus nécessairement en contradiction. La présence d’un avocat permet de garantir l’absence de conflit d’intérêts entre les différentes parties à la procédure et d’éclairer le juge sur les relations familiales. Surtout, il est un précieux relais de son client sur l’opportunité de la mesure ou le choix du protecteur au moment de l’audition et parfois en cours de mesure.
Si le champ de la vulnérabilité est encore souvent perçu comme relevant plus du domaine social que du domaine juridique, la complexité des situations juridique est réelle, les risques de conflits d’intérêt surgissent régulièrement, donnant lieu à des situations inextricables pour des personnes inexpérimentées alors que leurs difficultés pourraient être amoindries par l’intervention d’un conseil, rompu à ces questions.
Les avocats peuvent aussi exercer leur rôle de conseil dans le cadre de l’établissement d’un mandat de protection future établi sous seing privé mais également être désignés en qualité de mandataires, mais force est de constater que les avocats ne se sont clairement pas saisis de ce dispositif puisque les mandats par actes notariés dépassent 90 % du nombre de mandats mis en œuvre.
En cette matière encore, la place du juge devra être (re)pensée et l’enjeu du vieillissement de la population impose de distinguer plus finement ce qui relève :
- de l’entraide familiale,
- de l’aide sociale,
- d’un accompagnement (tiers de confiance) ou d’une aide à la décision pour les personnes handicapées
- de la sphère judiciaire.
Et là encore, repenser la place du juge impliquera de repenser la place de l’avocat.
***
Vous n’en doutiez pas, en 2018, encore, le droit de la famille connaîtra sans doute des évolutions substantielles.
Le Parlement a déjà connu un premier galop d’essai, en matière de résidence alternée avec la proposition de loi du député Philippe Latombe, examinée à l’Assemblée nationale le 30 novembre dernier. Le texte initial de la proposition évoquait un « principe de garde alternée ». Il a été profondément remanié par la Commission des Lois après un dialogue avec le Gouvernement. En effet, la Chancellerie n’entend pas faire de la résidence alternée égalitaire un principe – il n’en est pas question - mais elle soutient l’instauration d’un principe symbolique de double rattachement de l’enfant aux domiciles de ses parents. Je tiens à ce que ce soit clair.
Plus vifs encore seront sans doute les débats qui suivront les Etats généraux de la bioéthique qui viennent de débuter et qui seront, à n’en pas douter, l’occasion de réfléchir à certaines revendications touchant non à des progrès scientifiques, mais à l'évolution de la société et des modes de vie. C’est en effet la place de l’individu dans la famille et les conditions pour devenir parent qui seront inévitablement interrogées.
Après les débats viendront le temps des réformes, qui seront, nous le souhaitons ambitieuses. Vous l’avez compris, celles-ci ne pourront sefaire sans votre dynamisme et votre enthousiasme.
Par votre engagement quotidien, vous êtes les partenaires essentiels du juge, participant, par votre intervention à tous les stades de la procédure, à la détermination du contentieux, puis à la compréhension et l'acceptation du jugement.
Et j'en reviens ainsi au discours du Président de la République à la Cour de cassation :
"Je crois enfin que l’indépendance de la justice, sa place toute particulière, essentielle à la fois aux équilibres de l’État et de notre vie en société, se fait par la clarté, la lisibilité, la force des jugements rendus. Un jugement, et vous le savez infiniment mieux que moi, même lorsqu’il est totalement définitif, porte ce rôle essentiel qui est celui du tiers de confiance dans la société. Il arrête le cycle infernal de la violence et des brutalités et permet justement de mettre un terme à une situation qui paraissait inarrêtable.
L’avocat lui-même participe, me semble-t-il, de cette mécanique pacificatrice.
Dans cette "fabrique quotidienne de la démocratie" pour reprendre l'expression de Maître Soulez Larivière, votre rôle est bien évidemment essentiel auprès de nos concitoyens.
Seul le prononcé fait foi