L’Assemblée plénière de la Cour de Cassation a, le 16 décembre 2016, rendu son arrêt dans l’affaire Morice (pourvoi n° Q 08-86.295 - Arrêt Assemblée Plénière n° 631 du 16 décembre 2016)
Pour rappel, les avocats de la veuve du juge Borrel avaient, en septembre 2000, donné au journal Le Monde une interview dans laquelle ils mettaient en cause les agissements des juges d'instruction en charge de l'enquête sur l'assassinat du magistrat à Djibouti en 1995 qui venaient d'être dessaisis du dossier par la chambre d'accusation, en dénonçant une « connivence » avec le procureur de la République de Djibouti, un "comportement parfaitement contraire aux principes d'impartialité et de loyauté".
Un desdits juges avait déposé plainte avec constitution de partie civile et Maître Morice avait notamment été condamné pour diffamation publique envers un fonctionnaire public.
A la suite de la condamnation de la France par un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme en date 23 avril 2015, Morice c. France (req. n° 29369/10), pour violation de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, affaire dans lequel le Conseil national des barreaux s’était porté intervenant volontaire, l’Assemblée plénière était saisie du réexamen du pourvoi.
Estimant que lorsque l’auteur des propos incriminés est un avocat, le niveau de protection de la liberté d’expression de ce dernier, liée à l’indépendance de la profession et au bon fonctionnement de l’administration de la justice dans une société démocratique, doit être particulièrement élevé, la Cour européenne, pour constater la violation par la France de l’article 10 de la Convention, avait relevé que les propos de Maître Morice, qui s’inscrivaient dans un débat public d’intérêt général, constituaient des jugements de valeur, reposaient sur une base factuelle suffisante et devaient être replacés dans le contexte particulier de l’affaire. Ajoutant que l’existence d’une animosité personnelle n’était pas établie malgré la connotation négative, l’hostilité et la gravité des propos tenus, la Cour avait souligné qu’un avocat devait pouvoir attirer l’attention du public sur d’éventuels dysfonctionnements judiciaires et commenter l’action des juges à l’égard desquels les limites de la critique admissible étaient plus larges et que la condamnation d’Olivier Morice n’était pas de nature à préserver l’autorité judiciaire.
Saisie du réexamen du pourvoi, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation était ainsi invitée se prononcer sur l’étendue de l’exercice par un avocat de sa liberté d’expression et, plus précisément, sur les limites de la critique admissible à l’égard des magistrats agissant dans l’exercice de leurs fonctions.
Elle retient que les propos litigieux portaient sur un sujet d'intérêt général relatif au traitement judiciaire d'une affaire criminelle ayant eu un retentissement national, qu’ils reposaient sur une base factuelle suffisante, à savoir le défaut de transmission spontanée d’une pièce de la procédure au juge d’instruction nouvellement désigné et la découverte d’une lettre empreinte de familiarité, à l’égard des juges alors en charge de l’instruction, du procureur. Elle en déduit que ces propos ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression d’un avocat dans la critique de l'action des magistrats et ne pouvaient être réduits à la simple expression d’une animosité personnelle envers ces derniers. Elle casse donc sans renvoi l’arrêt attaqué.
La Cour de cassation endosse ainsi le principe d’un niveau plus élevé de protection de la liberté d'expression d’un avocat dans la critique de l'action des magistrats à l’occasion d’une procédure judiciaire.