17 avril 2020

Audition à l'Assemblée nationale du 15.04.2020 relative à la privation de liberté

Institution

Audition à l'Assemblée nationale d'Adeline Hazan

Introduction d’Adeline HAZAN
  • Dans le milieu confiné que représente les prisons, la crise prend une gravité particulière. Les personnels pénitentiaires et les détenus sont « extrêmement inquiets » de ce qui se passe.
  • La crise jette « une lumière extrêmement crûe sur la situation des prisons en France » puisqu’il y a une surpopulation carcérale « vraiment endémique ». Au premier mars, il y avait 72 575 détenus pour officiellement 61 000 places, mais en réalité seules 55 000 places étaient utilisables.
  • En ce qui concerne les maisons d’arrêt, « car c’est là que se pose le problème de la façon la plus cruciale », il y avait 48 284 détenus pour 34 973 places opérationnelles. Il y a aujourd’hui 13 700 détenus en surnombre dans les maisons d’arrêt.
  • Or, c’est dans les maisons d’arrêt que sont réalisées les détentions provisoires et les peines de détenus à qui il reste moins de deux ans à effectuer. C’est là où « se retrouve les détenus à deux ou trois dans des 9 m², avec parfois un matelas par terre. Si bien qu’il y a encore 1 500 matelas par terre pour des détenus dans les prisons françaises ».
  • Ainsi, le personnel pénitentiaire, au même titre que les détenus, est en danger et a continué à travailler, souvent en effectif réduit, sans masque et sans gants jusqu’au 29 janvier.
  • C’est la raison pour laquelle elle a alerté la garde des Sceaux dès le 17 mars pour lui indiquer la situation et lui proposer un certain nombre de mesures.
  • Elle a demandé à la garde des Sceaux que l’on arrive le plus vite possible à de l’encellulement individuel dans les maisons d’arrêt et demandé la libération d’environ 13 000 détenus. Seraient visés par cette mesure les détenus à qui il reste six mois, sur le fondement de la loi de programmation de la justice, notamment ce qui est inscrit dans la loi pour l’aménagement de peine prévoyant qu’à partir du 24 mars 2020, les magistrats sont incités pour toutes les condamnations en dessous de six mois, à ne pas prononcer de peine d’incarcération. Si cette mesure avait été suivie, l’objectif d’encellulement individuel aurait été atteint en prenant comme base le seuil fixé par le Gouvernement.
  • Même si les juges d’application des peines ont œuvré pour libérer un certain nombre de détenus, il reste encore les détentions provisoires qui étaient encore 22 000. Elle considère dont que « les mesures à cet égard sont insuffisantes ».
  • Elle a précisé qu’il est « incohérent de libérer les détenus à moins de deux mois et de proroger les mandats de dépôt, sans aucune comparution devant le juge » et considère que« cette mesure aurait dû être supprimé par une ordonnance rectificative ».
  • Elle considère que les mesures prises en matière de détention sont insuffisantes, citant des avancées comme l’autorisation de la télévision mais également des manques comme le crédit téléphonique de 40 € accordé aux détenus. À un moment où le parloir est fermé et un moment où les avocats ne viennent plus, elle souhaiterait que les détenus, qui « n’ont plus d’activité du tout, même plus de sport », « vivant vraiment à 23/24 dans leurs cellules », puissent pouvoir téléphoner. À cet égard, elle pense qu’« il aurait fallu introduire des mesures plus larges » et « ne comprend pas qu’il faille faire des économies budgétaires alors que le président de la République a dit « quoi qu’il en coûte » ». Elle souhaiterait également « permettre l’usage du parloir Skype » en donnant les moyens aux établissement pénitentiaires.
  • Elle juge la situation des détenus comme une triple peine : « la peine de la peur, de la maladie et de l’absence de contact ».
  • Sur les réductions des peines, elle trouve incompréhensible qu’il ait été prévu qu’elles soient mise en place uniquement après la fin du confinement. Elle accueille favorablement le changement de la doctrine française vers « une régularisation des détenus » et milite pour « éviter que l’on reparte dans une inflation carcérale ».
  • La situation des CRA est également « inquiétante et invite la Commission des lois à se pencher dessus ».

Sur les conditions de détentions des CRA et la nécessité impérieuse du respect des temps de rétention (Laetitia AVIA, LREM)
  • est particulièrement inquiète pour deux CRA, dont celui de Vincennes.
  • a demandé au ministre de l’Intérieur la fermeture de l’ensemble des CRA dès l’instauration du confinement
  • considère que le maintien en rétention ne sert à rien mais devient aussi illégal : « on place en rétention quelqu’un que l’on pourra expulser or l’ensemble des frontières sont fermées », donc on garde des personnes « jusqu’à 90 jours sans espoir de les reconduire».
Sur les avocats (Nicole DUBRE-CHIRAT et Alexandra LOUIS, LREM)
  • constatent que les avocats et les associations n’y vont plus et que les retenus sont sans contact.
  • rappellent que les avocats ne sont pas interdits « mais en réalité très peu y vont », citant le Barreau de Paris qui à demandé aux avocats de ne plus y aller.
  • militent pour que les avocats puisent être absolument équipés de masques et de gels et considèrent qu’en l’état « les droits de la défense sont en ce moment confinés ».
Sur la libération des détenus sans mesures alternatives et l’encellulement individuel (Marietta KARAMANLI, SOC - Eric DIARD et Philippe GOSSELIN, LR)
  • indiquent que la prolongation de détention est de plein droit et que le fait d’avoir ordonné la prolongation des mandats de dépôt est « contraire aux principes généraux du droit ».
  • considèrent que la libération de détenus ne comporte pas plus de risques en matière de récidive puisque « cela ne change rien que l’on libère deux mois avant ou deux mois après » et soutient que « le droit à la santé et à la vie est valable pour tous ».
  • constatent que les libérations ne vont « pas assez vite » et se désole de la difficulté de mettre en place des peines alternatives, encore plus compliquées en cette période. Il y aurait un problème en termes de matériel pour les bracelets électroniques.
  • considèrent que même s’il « faut se féliciter collectivement des efforts qui sont faits », le fait que les cellules n’aient pas de douches individuelles rend très difficile la mise en place des gestes barrières.
Sur la condition des détenus patients psychiatriques (Marietta KARAMANLI, SOC – Philippe GOSSELIN, LR)
  • considère que la situation de ces détenus est inquiétante : leur angoisse serait démultipliée et cite des études indiquant qu’au « moins 70 % des détenus ont un trouble psychologique, et au moins 20 à 30 % ont une maladie psychique très grave ».
  • juge que l’accès aux soins psychiatriques en prison est « beaucoup trop faible », en citant par exemple le peu de HSA disponibles : « elle n’est pas bonne en temps normal, elle est encore moins bonne dans ces conditions » et rappelle qu’il y a une réflexion en cours et qu’elle a écrit un rapport à ce sujet.
Sur l’effectivité des contrôles et le respect des mesures sanitaires dans les geôles des tribunaux (Ugo BERNALICIS, LFI)
  • explique qu’elle dispose d’une équipe de 50 personnes dont 40 contrôleurs et que son équipe récupère régulièrement le courrier, répond à toutes les lettres de détenus et réalise un suivi par téléphone.
  • souhaite absolument instaurer la gratuité pour les indigents, qui sont les détenus ayant sur leur compte moins de 20 € et à qui l’Etat accorde 50 €. Il y a eu des avancées en la matière puisqu’il est maintenant de 100 € pour les détenus ayant moins de 40 € sur leur compte.
  • Concernant la situation des geôles, elle n’a pas eu d’alerte et est « incapable de répondre avec beaucoup de précisions », tout en précisant qu’elle appelle tous les jours les établissements pénitentiaires.
Sur la détention des mineurs (Alexandra LOUIS, LREM et Cécile UNTERMAIER, SOC)
  • constatent que « le nombre de détenus mineurs a baissé mais de façon pas assez importante » et que la situation est inquiétante tant pour ces mineurs que pour les centres éducatifs fermés et pointent le manque d’éducateurs.
  • militent pour que les mineurs aient accès à des téléphones portables bridés et sécurisés, sans accès à internet et considèrent, de façon général, que « l’accès au numérique pourrait permettre de faire baisser la pression en milieu carcéral ».
Sur les visites de zones d’attente (Danièle OBONO, LFI)
  • a été alertée sur le refus d’accès aux zones d’attente de députés et a prévenu la garde des Sceaux car c’est « absolument illégal de refuser l’accès de députés à ces zones ».
Sur les ateliers de masques en tissus (Caroline ABADIE et Alexandra LOUIS, LREM)
  • considère que c’est toujours intéressant de voir les détenus qui y participent mais que ce n’est pas normal « qu’ils fassent des maques alors qu’ils en sont eux-mêmes privés ».
Sur la loi et les mesures alternatives à l’enfermement (Cécile UNTERMAIER, SOC)
  • prend acte qu’il fallait aller à quatre mois, comme le proposait Mme UNTERMAIER
  • rappelle que le nombre de conseillers de probation a augmenté, même si « c’est évident que l’on ne les a pas augmenté assez ».
  • soutient que les moyens sont insuffisants et souhaiterait qu’un travail d’éducation soit réalisé sur les peines privatives de liberté afin d’expliquer que « ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de prison, qu’il n’y a pas de peine ».