Le 6 octobre 2023, le Conseil constitutionnel a rendu une décision attendue sur les conditions de privation de liberté en garde-à-vue.
Saisi par l'Association des avocats pénalistes (ADAP), le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur la conformité entre le droit constitutionnel à la dignité et les dispositions relatives à la garde-à-vue.
Après avoir rappelé qu'il appartient « aux autorités judiciaires compétentes, dans le cadre des pouvoirs qui leur sont reconnus par le code de procédure pénale et, le cas échéant, sur le fondement des infractions pénales prévues à cette fin, de prévenir et de réprimer les agissements portant atteinte à la dignité de la personne gardée à vue », le Conseil constitutionnel retient, par une réserve d'interprétation qu'« en cas d'atteinte à la dignité de la personne résultant des conditions de sa garde à vue, les dispositions contestées ne sauraient s'interpréter (...) que comme imposant au magistrat compétent de prendre immédiatement toute mesure permettant de mettre fin à cette atteinte ou, si aucune mesure ne le permet, d'ordonner sa remise en liberté. À défaut, la personne gardée à vue dans des conditions indignes peut engager la responsabilité de l'Etat afin d'obtenir réparation du préjudice en résultant. »
Que peuvent demander les avocats au magistrat en charge de l'affaire ?
1) Prendre « toute mesure permettant de mettre fin » aux conditions indignes
Le Conseil constitutionnel ne précise pas quelles mesures concrètes pourrait prendre le magistrat en charge de l'affaire. On pourrait ainsi imaginer :
- Sur le modèle des injonctions du juge administratif, que le procureur de la République ou le juge d'instruction puisse, par exemple, exiger des autorités de police le nettoyage immédiat d'une cellule de sorte que cesse l'atteinte à la dignité ou de cesser un comportement particulier attentatoire à la dignité ;
- Sur le modèle de l'article 803-8 du code de procédure pénale, que le magistrat fasse simplement connaître aux responsables des locaux de garde à vue les conditions de détention qu'il estime contraires à la dignité de la personne humaine et leur demande d'y mettre fin, par tout moyen.
Il doit être rappelé à ce titre que les autorités de police judiciaire sont aussi chargées, selon la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, « de veiller à ce que la garde à vue soit, en toutes circonstances, mise en oeuvre dans le respect de la dignité de la personne. »
Les avocats pourront, lorsqu'ils solliciteront l'application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, proposer au magistrat des mesures concrètes dont l'observation devrait entraîner la fin de la garde à vue.
2) Ordonner la remise en liberté
Au regard des conditions parfois extrêmes de garde à vue, il est toutefois peu probable que les mesures envisageables puissent mettre immédiatement fin à l'indignité des conditions de garde à vue.
Le Conseil constitutionnel réserve donc la possibilité au magistrat de mettre fin à la mesure.
Les avocats ne devront donc pas hésiter à solliciter la remise en liberté de leur client.
Comment faire connaître les conditions de la garde à vue au magistrat en charge de l'affaire ?
1) La mise en place d'un système de traitement rapide des requêtes
Les avocats doivent immédiatement alerter le magistrat en charge du dossier des conditions de détention. Toutefois, au regard de la brièveté de la mesure, un système de traitement rapide des requêtes devrait être envisagé.
Les tribunaux judiciaires et les barreaux pourraient ainsi, en concertation, mettre en place :
- Un formulaire simplifié de demande de mise en œuvre de mesures permettant de faire cesser l'atteinte à la dignité ou de remise en liberté ;
- Une adresse électronique structurelle sur laquelle seraient transmis ce formulaire afin de lui réserver un traitement prioritaire, éventuellement par la permanence du parquet.
2) Attirer l'attention des parquets et juridictions d'instruction sur l'état des locaux de garde à vue
Les barreaux devraient attirer l'attention des parquets et juridictions d'instruction sur l'état des locaux de garde à vue :
- En transmettant systématiquement aux magistrats les décisions de la juridiction administrative constatant l'indignité des conditions de détention d'un local de garde à vue. À cette occasion, les barreaux pourraient indiquer aux magistrats qu'ils considèrent cette condamnation comme entraînant l'impossibilité de procéder à des gardes à vue dans ces locaux tant que les injonctions prononcées par le juge administratif ne sont pas exécutées ;
- En transmettant systématiquement les rapports du CGLPL et des bâtonniers dénonçant des conditions indignes. À cette occasion, les barreaux pourraient inviter les magistrats à se déplacer sur place pour prendre connaissance de l'état des locaux et indiquer aux magistrats qu'ils considèrent qu'il est impossible de continuer les gardes à vue dans ces locaux ;
- En rappelant aux magistrats que la décision du Conseil constitutionnel les oblige et qu'ils doivent se renseigner de l'état des locaux lorsqu'ils sont avertis par les officiers de police judiciaire d'un placement en garde à vue et qu'ils doivent, d'eux-mêmes, aller constater l'état des locaux de façon régulière.
Quelles conséquences en cas d'inaction de l'autorité judiciaire ?
1) L'indemnisation
Le Conseil constitutionnel rappelle, conformément à sa jurisprudence habituelle, qu'à défaut d'action de la part de l'autorité judiciaire, « la personne gardée à vue dans conditions indignes peut engager la responsabilité de l'Etat afin d'obtenir réparation du préjudice en résultant. »Un recours sur le fondement de l'article L141-1 du code de l'organisation judiciaire peut ainsi être déposé devant le tribunal judiciaire territorialement compétent. Pour rappel, le Tribunal des conflits considère que « le placement en garde à vue, en application des articles 63 et suivants du code de procédure pénale, d'une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction, a le caractère d'une opération de police judiciaire et il n'appartient par conséquent qu'aux tribunaux judiciaires de connaître des litiges survenus à l'occasion d'un tel placement. » (Tribunal des conflits, 11 avril 2022, n°4243). Ainsi, la réparation des atteintes à la dignité commises dans le cadre d'une garde à vue relèvent de la compétence judiciaire (Cass. Civ., 1ère, 7 juin 2006, n°04-17.884). Le recours devrait rester possible même en cas de la part du magistrat en charge du dossier pour mettre fin à l'indignité des conditions de détention dès lors que la personne mise en cause y a été irrémédiablement soumise.
2) La nullité de la procédure
Le Conseil constitutionnel reste silencieux sur la possible nullité d'une garde à vue indigne. La Cour de cassation juge explicitement que « de mauvais traitements infligés au cours de leur garde à vue, s'ils peuvent engager la responsabilité pénale de leurs auteurs, n'entraînent pas la nullité de la procédure dès lors qu'il n'est pas justifié la violation d'une disposition du code de procédure pénale. » (Cass. Crim., 18 mai 2004, n°93-84. 174 ; Cass. Crim. 22 juin 2010). Cette jurisprudence a été plus récemment rappelée en matière de détention provisoire. Il convient toutefois de relever au moins deux arrêts, l'un de la Chambre criminelle et l'autre de la Cour d'appel de Paris, semblant ouvrir la porte à la reconnaissance de la nullité sur le fondement d'une atteinte à la dignité. La Cour de cassation, dans un arrêt du 25 octobre 2011 a ainsi cassé un arrêt de la Cour d'appel de Montpellier qui, saisie d'une demande de nullité, n'avait pas vérifié si cette audition s'était déroulée dans « des conditions respectant les exigences résultant de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme. » Plus récemment, la Cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance d'un juge des libertés et de la détention annulant une garde àç vue au motif « d'une atteinte à la dignité de la personne. » (Cour d'appel de Paris - Pôle 01 ch. 11, 11 février 2022, n° 22/00420). Cette nullité puisait notamment sa source dans l'article 63 du code de procédure selon lequel la garde à vue doit s'exécuter dans des conditions garantissant le respect de la dignité de la personne. Il s'ensuit qu'un acte de procédure, telle que la garde à vue, pourrait être entaché de nullité dans l'hypothèse d'une violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme et de l'article 63 du code de procédure pénale. Il doit néanmoins être relevé que dans ces deux arrêts, les faits ne mettaient pas directement en cause les conditions matérielles d'accueil de la personne mise en cause. Dans l'arrêt du 11 février 2022 de la Cour d'appel de Paris, la nullité découlait de l'absence d'alimentation de la personne, laquelle est explicitement prévue par l'article 64 du code de procédure pénale. Il n'en reste pas moins que la violation de la dignité était visée comme motif de la nullité. A la faveur de ces arrêts, il convient toutefois de continuer de soulever des nullités en s’appuyant sur les arrêts et articles précités afin de développer une jurisprudence plus favorable. Ces requêtes en nullité pourraient également sur l’atteinte corrélative à un autre droit, tel que les droits de la défense. En effet, il est indéniable que la soumission à des conditions indignes de garde à vue altère la capacité à répondre et se défendre convenablement face à une accusation.
Afin d’éviter qu’il ne soit reproché de ne pas avoir contester pendant la mesure les conditions de garde à vue, l’avocat doit faire consigner dans le procès-verbal d’interrogatoire une possible atteinte à la dignité et avertir le magistrat en charge du dossier afin qu’il puisse prendre les mesures nécessaires.
Par ailleurs, se posera nécessairement la question de la sanction de la procédure au cours de la quelle les autorités n’ont pris aucune mesure bien qu’informée des conditions de garde à vue. En l’absence de recours effectif devant un magistrat du siège, la nullité apparaît être la seule sanction possible à une violation de la dignité humaine en garde à vue.