À l'occasion de l’examen périodique de la France par le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies, le Conseil national des barreaux a soumis un rapport alternatif révélant des atteintes alarmantes aux droits humains en France. Entre discriminations persistantes, surpopulation carcérale et restrictions croissantes des libertés publiques, le CNB dénonce une dérive sécuritaire menaçant les fondements de l’État de droit. Retour sur un bilan préoccupant sur lequel la délégation française a dû s’expliquer face au Comité des droits de l’Homme à Genève.
À l'occasion de l’examen périodique de la France par le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies, le Conseil national des barreaux a soumis un rapport alternatif détaillé, exposant un panorama préoccupant de l’état des droits humains en France. Entre les contrôles d’identité discriminatoires, les conditions carcérales indignes et les restrictions croissantes des libertés publiques, le CNB met en évidence une dérive sécuritaire qui ébranle les principes fondamentaux de l’État de droit. Présent aux côtés d’autres ONG à Genève du 21 au 23 octobre, le CNB a suivi les échanges entre le gouvernement français et le Comité des droits de l’Homme.
Des discriminations persistantes dans les contrôles d’identité
Le CNB a dénoncé les contrôles d’identité discriminatoires effectués par les forces de l’ordre, qui visent de manière disproportionnée les personnes perçues comme appartenant à des minorités raciales et ethniques. Son rapport alternatif rappelle que ces pratiques persistent en dépit des nombreuses recommandations émises par des institutions nationales et internationales, fragilisant ainsi la relation entre la police et la population.
Face à cette situation, le CNB plaide pour une refonte du cadre légal, visant à rendre ces contrôles transparents et encadrés par des critères objectifs. Il insiste également sur la mise en place d’un suivi statistique indépendant afin de documenter ces pratiques et d’empêcher les abus, soulignant l’absence actuelle de données officielles sur leur ampleur réelle.
Surpopulation carcérale : un défi structurel
Les conditions de détention dans les prisons françaises restent une source de préoccupation majeure. La surpopulation carcérale, atteignant des niveaux critiques (jusqu’à 200 % de la capacité dans certains établissements), entraîne des conditions de vie inhumaines et dégradantes. Malgré les multiples condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, le CNB déplore l’absence de mesures structurantes et contraignantes pour réguler les flux carcéraux.
L’article 803-8 du Code de procédure pénale, qui permet aux détenus de contester leurs conditions de détention, s’avère inadapté et dissuasif. Complexe à mettre en œuvre, il décourage les recours, car les détenus craignent d'être transférés dans des établissements éloignés, ce qui complique le maintien des liens familiaux, pourtant cruciaux pour leur réinsertion.
Droits des étrangers : un recul des garanties procédurales
La loi du 26 janvier 2024, régissant l’immigration et l’intégration, constitue un point critique du rapport. Le CNB dénonce un recours systématique à la visioconférence pour les audiences des étrangers, ainsi que la suppression de la collégialité, compromettant le droit à un procès équitable. En délocalisant les audiences et en restreignant l'accès physique des étrangers aux tribunaux, la loi complique l’exercice de la justice pour les personnes concernées, souvent isolées et vulnérables.
Cette approche alimente une politique d’éloignement rapide des étrangers, même ceux bénéficiant de protections spécifiques. Le CNB exprime ses préoccupations face à cette logique d’assimilation de l’immigration à une menace sécuritaire, qui se fait au détriment des droits fondamentaux.
Enfants français détenus en Syrie : un impératif humanitaire
La situation des enfants français détenus dans les camps syriens demeure un sujet de vive préoccupation. Contrairement aux affirmations du gouvernement devant le Comité des droits de l’Homme, le CNB rappelle que la France a l’obligation de rapatrier ces enfants, exposés à des conditions de vie inhumaines. Il appelle le gouvernement à agir d’urgence pour assurer leur protection et leur réintégration.
Liberté de manifester : un droit sous pression
La liberté de manifester en France est sous tension, avec un usage persistant de techniques controversées de maintien de l’ordre, telles que les « nasses » ou l’emploi disproportionné d’armes intermédiaires comme les LBD. Ces pratiques, qui entravent la liberté de mouvement et mettent parfois en danger les manifestants, peuvent être perçues comme des tentatives d’intimidation, visant à réprimer les mouvements sociaux. Le CNB critique également les interdictions préfectorales de rassemblements, souvent décidées à la dernière minute, empêchant tout recours effectif.
Le CNB appelle à un contrôle rigoureux de l’usage de la force par les forces de l’ordre et insiste sur l’importance du respect du port du numéro d’identification des policiers (RIO), encore trop souvent ignoré, afin de garantir la transparence et la responsabilité.
La normalisation des mesures sécuritaires exceptionnelles : un danger pour l’État de droit
Le CNB alerte sur la tendance inquiétante à pérenniser des mesures exceptionnelles, initialement instaurées sous état d’urgence sécuritaire ou sanitaire, dans le droit commun. La loi SILT (Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme), ainsi que d’autres dispositifs, prolongent des pratiques d’exception, telles que les perquisitions administratives ou la surveillance renforcée, sans un contrôle judiciaire suffisant. Le CNB souligne les risques de cette normalisation, qui affaiblit les garanties fondamentales et le droit à un procès équitable.
En attendant les conclusions du Comité
La délégation française, dirigée par Isabelle Rome, a été interrogée en détail sur ces différents enjeux. Les conclusions de cet examen seront rendues le 7 novembre prochain. Le CNB, qui reste vigilant, espère que ces recommandations inciteront les autorités françaises à engager des réformes substantielles pour restaurer la confiance des citoyens envers les institutions et garantir l’Etat de droits fragilisés par les discours politiques actuels.