Dans une décision rendue le 14 juin 2024, le Conseil d'État a confirmé que le droit des avocats de communiquer librement avec leurs clients détenus et de leur rendre visite constitue une liberté fondamentale.
Un détenu avait déposé un référé-liberté devant le Tribunal administratif de Nice afin d'enjoindre au directeur du centre pénitentiaire de Grasse, où il était incarcéré, de délivrer à son avocat un permis de communiquer. Confirmé par le Conseil d’Etat, le Tribunal administratif de Nice rejette la demande : le détenu ne séjournait plus dans l'établissement de Grasse et n’avait pas fait état de nouvelles difficultés rencontrées pour communiquer avec son avocat.
Bien que le détenu n’ait pas obtenu gain de cause, la décision du Conseil d’Etat, statuant dans la forme du référé-liberté, confirme que « la possibilité d'assurer de manière effective sa défense devant le juge, qui implique le droit pour les avocats de communiquer librement avec leurs clients et de leur rendre visite, a le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ».
Si la décision de refus de délivrer un permis de communiquer à un avocat par le chef de l’établissement pénitentiaire a toujours pu faire l’objet d’un recours de plein contentieux devant la juridiction administrative, le Conseil d’Etat confirme pour explicitement pour la première fois qu’est également ouverte la voie du référé-liberté prévu par l’article L. 521-2 du code de justice administrative.
L’article R. 313-14 du code pénitentiaire (anciennement R. 57-6-5 du code de procédure pénale) prévoit, qu’en-dehors des procédures de l’application des peines, le chef de l’établissement pénitentiaire délivre aux avocats un permis de communiqué.
Le Conseil d’Etat avait déjà pu trancher dans une décision du 25 mars 2015 que « les détenus disposent du droit de communiquer librement avec leurs avocats », ce qui implique « notamment qu'ils puissent, selon une fréquence qui, eu égard au rôle dévolu à l'avocat auprès des intéressés, ne peut être limitée à priori, recevoir leurs visites, dans des conditions garantissant la confidentialité de leurs échanges ». Précisant dans cette même décision que « toutefois, ce droit s'exerce dans les limites inhérentes à la détention » afin de « préserver le bon ordre et la sécurité des établissements pénitentiaires », il rappelait dans le même temps que l’autorité délivrant le permis de communiqué ne pouvait subordonner l'obtention de ce permis à un contrôle portant sur l'opportunité ou la nécessité des rencontres entre l’avocat et son client (CE, 25 mars 2015, n°374401). Le Conseil d’Etat reprenait les mêmes considérations dans une décision en la forme du référé-liberté du 3 juin 2019 (CE, 3 juin 2019, n°431068). Il n’avait néanmoins pas, à cette occasion, qualifié de liberté fondamentale la possibilité d'assurer de manière effective sa défense devant le juge, laquelle implique le droit pour les avocats de communiquer librement avec leurs clients et de leur rendre visite.
Dans un jugement du 2 juin 2023 du tribunal administratif de la Martinique, le juge des référés avait quant à lui pu juger que le refus de délivrer un permis de communiquer portait atteinte tant au « libre exercice de la profession d’avocat qu’au droit pour les personnes poursuivies d’être assistées de l’avocat de leur choix et de communiquer librement avec lui, ce droit constituant le corollaire des droits de la défense, qui présentent le caractère de libertés fondamentales au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. » (TA Martinique, 2 juin 2023, n°2300306). L’avocat avait ici invoqué le bénéfice de ces libertés fondamentales pour son propre compte et non pour ses clients.
La décision du Conseil d’Etat du 14 juin 2024 s’inscrit ainsi dans le prolongement logique et cohérent des arrêts du 25 mars 2015 et 3 juin 2019 et du jugement du 2 juin 2023. Elle s’inscrit également dans le prolongement d’autres décisions ayant reconnu que le droit pour une personne détenue à l’assistance d’un défenseur de son choix est une liberté fondamentale (TA Toulouse, 29 avril 2020, n°2001989).
Si la voie du plein contentieux avait toujours été ouverte au refus de délivrer un permis de communiquer par l’autorité administrative, est dorénavant confirmée l’ouverture de la voie du référé-liberté. Il restera néanmoins démontrer l’urgence de la situation, ce qui devrait être aisé dès lors que la communication s’inscrit dans le cadre d’une procédure en cours.
Reste à savoir si, comme ce fut le cas devant la juridiction administrative de la Martinique, l’avocat pourra invoquer pour lui-même cette liberté fondamentale sans passer par le truchement de son client. La réponse devrait être positive au regard de la formulation choisie par le Conseil d’Etat, qui vise le droit « pour » les avocats.