14 avril 2025

Point d’actualité sur le secret professionnel de l’avocat

Libertés et droits de l'homme
Secret professionnel et perquisitions

Entre consécration de l’exercice des droits de la défense par le Bâtonnier et par l’avocat de la défense et affaiblissement du secret professionnel de l’avocat en matière de conseil, jusqu’où la Chambre criminelle de la Cour de cassation ira-t-elle dans l’expression du paradoxe ?

La Chambre criminelle a rendu quatre arrêts le 11 mars 2025 (n° 24-82.517 ; n° 23-86.260 ; n° 23-86.261 ; n° 24-80.926) et un dernier arrêt le 8 avril 2025 (n° 24-81.033) qui concernent le secret professionnel et le rôle du Bâtonnier en contestation de perquisition.

La Chambre criminelle a d’abord défini le rôle du Bâtonnier comme étant d’exercer une mission de protection des droits de la défense (n° 24-82.517). Elle a déjà défini ce rôle par de nombreux arrêts depuis l’année 2013 (Crim. 8 janv. 2013, n° 12-90.063 ; Crim. 9 févr. 2016 n° 15-85.063 P ; Crim. 8 juill. 2020, n° 19-85.491 P ; Crim. 18 janv. 2022, n° 21-83.751 P ; Crim. 5 mars 2024, n° 23-80.229 P). 

Cependant, elle a jugé que le Bâtonnier ne pouvait avoir accès qu’à la seule décision de perquisition du Juge des libertés et de la détention et non pas au dossier d’enquête ou d’instruction et à la décision par laquelle le magistrat perquisiteur a sollicité le Juge des libertés et de la détention en décidant que le Bâtonnier disposait ainsi « des éléments utiles à sa contestation » mais qu’aucune raison ne justifiait la communication à son égard de la « procédure d’instruction couverte par le secret » (n° 24-82.517).

En d’autres termes, le Bâtonnier, reconnu comme exerçant les droits de la défense, n’a pas accès au dossier pénal, y compris lorsqu’il conteste la saisie d’éléments couverts par le secret de la défense.

La Chambre criminelle aussi consacré le rôle de l’avocat de la défense de l’avocat perquisitionné, pas encore au stade de la perquisition – il n’est pas interdit d’espérer – mais certainement lors de l’audience de contestation devant le Juge des libertés et de la détention en première instance et au second degré et devant la Cour de cassation. Ainsi, Bâtonnier et avocat de la défense de l’avocat perquisitionné seront présents, comme le permet la Chambre criminelle depuis un arrêt du 5 mars 2024 (n° 23-80.229) confirmé par un arrêt du 10 décembre 2024 rendu dans la même affaire (n° 24-82.350).

Plus récemment, par son arrêt du 8 avril 2025, la Chambre criminelle a encore rappelé que le Bâtonnier est investi d’une mission générale d’assurer la protection des droits de la défense en perquisition (n° 24-81.033).

Aussi, la Chambre criminelle s’est de nouveau penchée sur le statut de « partie » du Bâtonnier en réitérant, comme elle l’avait jugé par son arrêt du 8 janvier 2013, que le Bâtonnier « n’est pas partie à la procédure dans le cours de laquelle sont effectuées les perquisitions et éventuelles saisies » en application des dispositions de l’article 56-1 du Code de procédure pénale. En revanche, elle a jugé que le Bâtonnier est « partie à l’instance distincte » portée sur sa contestation de la saisie devant le Juge des libertés et de la détention et devant le Président de la chambre de l’instruction, y compris lorsque la décision du Juge des libertés et de la détention de première instance ne lui faisant pas grief, il n’a pas exercé de recours contre celle-ci. Fait grief une décision du Président de la chambre de l’instruction qui ordonne le versement à la procédure de documents saisis et contestés dont le Juge des libertés de première instance avait ordonné la restitution.

C’est ainsi que par son arrêt du 8 avril 2025, la Chambre criminelle a jugé que le Bâtonnier qui n’a pas interjeté appel de l’ordonnance de première instance qui ne lui faisait pas grief, était recevable à former pourvoi en cassation contre l’ordonnance du Président de la chambre de l’instruction qui fait grief. Cependant, la Chambre criminelle a déclaré le pourvoi du Bâtonnier « non admis » au visa des dispositions de l’article 567-1-1 du Code de procédure pénale qui permettent à la Chambre criminelle, statuant collégialement, de déclarer non admis les pourvois « irrecevables ou non fondés sur un moyen sérieux de cassation ». La Chambre criminelle n’a pas motivé plus avant. Elle semble avoir invoqué son droit au silence. 

Il a été précédemment jugé que le recours exercé contre l’ordonnance du Juge des libertés et de la détention puis contre celle du Président de la chambre de l’instruction est immédiatement recevable et pourvu d’un effet suspensif aux termes de l’article 56-1 alinéa 8 du Code de procédure pénale et d’un arrêt de la Chambre criminelle du 10 décembre 2024 (n° 24-82.350).

Que changent les arrêts du 11 mars 2025 ?

Si l’on revient sur les arrêts du 11 mars 2025, force est de constater que la Chambre criminelle a défini l’exercice des droits de la défense comme étant relatif à une procédure juridictionnelle ou à une procédure ayant pour objet le prononcé d’une sanction. C’est à cette condition que les éléments ne peuvent pas être saisis parce que couverts par le secret de la défense (n° 24-82.517). Par ailleurs, la Chambre criminelle a exclu du champ de la contestation les éléments ne relevant pas de l’exercice des droits de la défense bien que couverts par le secret professionnel défini par l’article 56 alinéa 2 du Code de procédure pénale si bien que demeurent saisissables les éléments dénués de lien avec les droits de la défense (n° 23-86.260). En revanche, la Chambre criminelle a rappelé, en matière d’exercice des droits de la défense, qu’il était nécessaire de marquer des raisons plausibles de soupçonner l’avocat mis en cause de sa participation à la commission d’une infraction (n° 23-86.261).

Enfin, la Chambre criminelle a tranché une question relative à lapplication des dispositions de larticle 56-1-1 (perquisition chez le justiciable) en rappelant que pour être contestée, la saisie doit procéder dune perquisition et non pas dune remise volontaire postérieure à la perquisition (n° 24-80.926). La remise volontaire dun objet électronique postérieurement à la perquisition ne peut être contestée, en tant que telle, au visa de larticle 56-1-1 du Code de procédure pénale. La Chambre criminelle semble conditionner louverture de la contestation à une exploitation effective dudit objet.

En conclusion, la Chambre criminelle valide une perquisition en cabinet d’avocat sans la démonstration de raisons plausibles à propos d’un avocat mis en cause dans la mesure où l’exercice des droits de la défense n’est pas concerné. Il suffit de marquer, en matière de secret du conseil, « un lien » avec les infractions dénoncées ou encore « une utilité à la manifestation de la vérité ». En revanche, s’agissant d’un avocat exerçant les droits de la défense, il est nécessaire de marquer à son encontre des raisons plausibles justifiant sa mise en cause.

En cours de perquisition, le Bâtonnier est une amicus curiae. Devant le Juges des libertés et de la détention, il devient « une partie » qui doit interjeter appel de l’ordonnance du Juge des libertés et de la détention de première instance qui lui fait grief, faute de quoi il devient irrecevable à former pourvoi. Le Bâtonnier est consacré comme protecteur des droits de la défense et recevable à former pourvoi contre l’ordonnance du Président de la chambre de l’instruction mais pour autant qu’il existe un secret « défendable » faute de quoi son pourvoi, « recevable », risque d’être déclaré comme « non admis » parce qu’ayant contesté la saisie d’éléments sans rapport avec l’exercice des droits de la défense pour ne concerner que la matière du secret du conseil. Cette conclusion nous a été confirmée à raison de la nature des débats qui se sont tenus devant la Chambre criminelle.

La Chambre criminelle a par ailleurs consacré la présence et l’assistance de l’avocat de la défense aux côtés du Bâtonnier aux audiences de contestation des saisies pratiquées et reconnu le caractère suspensif et immédiatement recevable des recours, au second degré et en cassation, contre les ordonnances du Juge des libertés et de la détention et du Président de la chambre de l’instruction.

L’ambiguïté de la Chambre criminelle réside dans la consécration du rôle du Bâtonnier, protecteur des droits de la défense pour la protection des seuls éléments couverts par le secret de la défense, à l’exception des éléments couverts par le secret du conseil. Au-delà des flatteries protocolaires, la Chambre criminelle ne fait que consacrer un Bâtonnier présenté comme contestataire mais en réalité amputé de ses prérogatives de protecteur en matière de contestation des saisies concernant le secret du conseil jugé indéfendable. Cela dit, rien n’interdit, par-delà le sempiternel grief d’« embolisation » non imputable aux avocats, de toujours contester envers et contre tout en toutes matières jusqu’à « non-admission ».  N’est-ce pas le rôle de la défense que la Cour suprême n’a de cesse de consacrer au visa de la jurisprudence de la CEDH ? L’épuisement des voies de recours internes s’impose en effet pour pouvoir saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 3 sept. 2024, n° 54795/21, Missaoui et Akhandaf c. Belgique, § 53 et 58).