Dans l’attente du décret d’application concernant le volet civil de la loi justice dont la publication est prévue mi-novembre 2019, le CNB vous propose un panorama des changements probables à prévoir à compter du 1er janvier 2020.
À la suite de la loi pour la réforme de la justice, le décret réformant la procédure civile est annoncé pour la mi-novembre.
Le Conseil national des barreaux a été consulté lors de la préparation de ce décret et a défendu les positions prises par la profession lors de ses votes sur les chantiers de la justice en date des 16 et 17 février 2018 mais il déplore de ne pas avoir été rendu destinataire de la version finale du projet de décret adressée au Conseil d’État, à la différence des chefs de juridiction qui en ont été destinataires.
Si certaines dispositions sont des dispositions d'application de la loi pour la réforme de la justice (représentation obligatoire), d'autres ne le sont pas, même si elles avaient pu être évoquées dans le cadre des chantiers de la justice (unification des modes de saisine ; exécution provisoire de droit ; mise en état conventionnelle).
Le CNB a néanmoins souhaité informer les avocats des évolutions à venir et les alerter des bouleversements annoncés qui entreront en vigueur au 1er janvier 2020 afin d'anticiper au mieux cette réforme de grande ampleur.
Si ce décret répond à certaines demandes de la profession d’avocat (extension de la représentation obligatoire), certaines dispositions, à l’encontre desquelles le CNB s’étaient fermement opposé (exécution provisoire de droit ) se verraient consacrées.
Cette réforme de la procédure civile doit être lue à l’aune de la nouvelle organisation judiciaire qui entrera également en vigueur le 1er janvier 2020.
Pour rappel, les tribunaux de grande instance et les tribunaux d’instance disparaissent au profit du tribunal judiciaire. La réforme issue de la loi et des décrets d’application a redéfini les compétences des juges au sein du tribunal judiciaire et a créé les chambres de proximité dénommées « tribunaux de proximité » ainsi que le juge des contentieux de la protection (JCP).
Cette synthèse a donc vocation à informer les avocats, afin qu’ils anticipent au mieux cette réforme de grande ampleur et de ce qu’elle contiendra au vu des projets sur lesquels le CNB a fait valoir ses observations.
Extension de la représentation obligatoire
La représentation par avocat devient obligatoire par principe devant le tribunal judiciaire (article 760 du CPC), sans distinction entre les procédures écrites et orales, alors qu’elle ne l’était que par exception devant le tribunal de grande instance. En conséquence la représentation par avocat devient obligatoire, notamment en référé au-dessus de 10.000 euros.
La représentation par avocat devient également obligatoire dans les procédures spécifiques suivantes :
- devant le tribunal de commerce au-delà de 10 000 euros, y compris en référé ;
- de révision des loyers commerciaux ;
- devant le juge de l’exécution au-delà de 10 000 euros ;
- en matière familiale, dans la procédure de divorce y compris dans l’audience d’orientation et de mesures provisoires, dans la procédure d’absence, de révision de la prestation compensatoire et de délégation et retrait total partiel de l’autorité parentale ou de délaissement parental ;
- en matière d’expropriation ;
- dans les procédures fiscales devant les juridictions civiles.
Dans ces matières, même si certaines d’entre elles répondent du régime des procédures orales, il ne faudra pas oublier de se constituer dans l’acte introductif d’instance ou en défense, selon la partie représentée, à défaut, en demande comme en défense il s’agira d’un cas de nullité de fond.
Dans ces matières, restent sans représentation obligatoire :
- L’expulsion ;
- Les saisies des rémunérations ;
- Les procédures collectives ;
- Les matières relevant du juge des contentieux de la protection.
Unification des modes de saisine (articles 54 à 59 du code de procédure civile)
- Limités à l’assignation et la requête (la déclaration au greffe est réservée à l’appel).
- Nouvelles mentions obligatoires : adresse électronique, numéro de téléphone du demandeur ou de son avocat, le lieu, jour et heure de l’audience, la liste des pièces sur lesquelles la demande est fondée.
Il est à noter que le nouvel article 56 n’oblige plus à justifier dans l’assignation des tentatives amiables dès lors qu’il ne s’agit pas d’une procédure pour laquelle les tentatives de MARD sont obligatoires (cf. infra). Il convient toutefois de rappeler que le juge a reçu un pouvoir général d’enjoindre de rencontrer un médiateur en vertu de l’article 22-1 de la loi du 8 février 1995.
Un mécanisme de prise de date obtenue à terme par voie numérique
La date sera communiquée par le greffe par tout moyen (article 751). Un arrêté du garde des Sceaux sera prochainement publié.
Le recours préalable aux MARD obligatoire
Le décret précise les cas dans lesquels le demandeur doit justifier, avant de saisir la juridiction, d’une tentative de conciliation, de médiation ou de convention de procédure participative en précisant les notions de conflits de voisinage, de délai raisonnable et de motif légitime et fixe le seuil en deçà duquel cette tentative est obligatoire : 5 000 euros (article 819 et 819-1). L’assignation comporte, à peine de nullité dans ces cas précis, l’obligation de mentionner les diligences entreprises pour parvenir à une résolution amiable du litige.
Mise en état conventionnelle par avocat (PPME = procédure participative de mise en état)
La mise en état conventionnelle par avocat est généralisée à toutes les juridictions de l’ordre judiciaire y compris pour les procédures sans mise en état (le tribunal de commerce, le tribunal judiciaire dans ses pôles de proximité, etc.) et une nouvelle option procédurale tenant à la possibilité d’obtenir une date d’audience dès la signature de la convention ou à bref délai après rétablissement est instaurée.
Extension des pouvoirs du juge de la mise en état (JME) - les fins de non-recevoir
Le JME peut statuer sur toutes les fins de non-recevoir, en renvoyant à la formation collégiale de la mise en état les fins de non-recevoir qui nécessiteraient qu’une question de fond soit tranchée (nouvel article 789 remplaçant l’ancien article 771).
Sur l’exception d’incompétence, les modifications ne concernent que les problèmes de compétence au sein du ressort d’un tribunal judiciaire (anciennement TGI-TI) entre le tribunal, une chambre de proximité (dénommée tribunal de proximité) ou un juge des contentieux de la protection (JCP). Il est prévu un mécanisme, inspiré du droit administratif, de renvoi du dossier devant la juridiction compétente, avant la première audience, par simple mention au dossier. Les parties ainsi que le juge nouvellement saisi auront la faculté de contester ce renvoi dans le délai de trois mois, auquel cas la question de la compétence sera tranchée par le président du tribunal.
La procédure sans audience se fera avec l’accord des parties
Devant le tribunal judiciaire, dans les affaires relevant de la procédure écrite (article 778) comme celles relevant de la procédure orale (articles 828 et 829), la procédure sans audience se déroule à l’initiative des parties avec leur accord exprès.
L’exécution provisoire de droit des décisions de justice (article 514)
L’appel et l’opposition ne sont plus des recours suspensifs (article 536-1).
L’exécution provisoire de droit devient le principe :
Sauf si le juge décide d’écarter l’exécution provisoire en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire ou qu’elle risque d’entraîner des conséquences manifestement excessive, d’office ou à la demande des parties, par décision spécialement motivée.
Il faut donc demander dès la première instance qu’elle soit écartée, à défaut de quoi toute demande d’arrêt devant le premier président de la cour d’appel saisie d’un appel sera irrecevable.
Et sauf dans les cas prévus par la loi :
- Les décisions du juge aux affaires familiales qui mettent fin à l’instance ne bénéficient pas, de droit, de l’exécution provisoire : le divorce, les régimes matrimoniaux, les indivisions pacs, les liquidations et partages des époux, la prestation compensatoire, les décisions en matière de tutelle des mineurs ;
- Mais par exception (de l’exception) : les mesures portant sur l'exercice de l'autorité parentale, la pension alimentaire, la contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant et la contribution aux charges du mariage, ainsi que toutes les mesures prises en application de l'article 255 du code civil, sont exécutoires de droit à titre provisoire ;
- Appel concernant l’annulation et la rectification des actes de l’état civil, les procédures relatives au prénom et la modification de la mention du sexe dans les actes de l’état civil ;
- En matière de filiation : le délai d’appel suspend l’exécution de la décision qui établit ou modifie le lien de filiation. L’appel exercé dans ce délai est également suspensif.
À noter :
- Les décisions rendues par le tribunal de commerce bénéficieront également de l’exécution provisoire de droit, sauf en matière de préservation du secret des affaires pour laquelle l’exécution provisoire restera facultative compte tenu de la sensibilité du sujet ;
- Les décisions du conseil de prud’hommes ne sont pas de plein droit exécutoires de droit à titre provisoire (avec des exceptions).
Pour s’opposer à cette exécution provisoire de droit, en cas d’appel, le requérant devra saisir le premier président et apporter la preuve :
- Qu’il existe des moyens sérieux d’annulation ou de réformation ;
- Que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives.
Ces deux conditions étant cumulatives, des conséquences manifestement excessives ne pourraient donc arrêter une exécution provisoire de droit si la condition de « moyens sérieux d’annulation ou de réformation » n’était pas remplie.
Le CNB ne manquera pas de tenir informés les avocats de la publication de ce décret et mettra tout en œuvre pour assurer aux avocats la maîtrise de ces nouveaux textes au 1er janvier 2020, date annoncée d’entrée en vigueur.