15 juin 2023

Réfugiées afghanes : le gouvernement parie sur l'oubli...

Institution
Libertés et droits de l'homme

Tribune

L'une a réussi à sortir d'Afghanistan mais survit à peine dans un parc à Islamabad alors qu'elle est enceinte de sept mois. L'autre s'est réfugiée en Iran mais risque une expulsion imminente vers Kaboul car son visa iranien a expiré et sa demande de visa français est en cours depuis... plus d'un an. Une troisième nous écrit pour nous informer qu'elle prévoit de vendre un rein pour nourrir ses enfants... 22 mois après, que fait la France pour des femmes afghanes ayant fui leur pays ?

Même si chaque semaine nous apporte quelques bonnes nouvelles - une qui a enfin fini par obtenir un rendez-vous au consulat de France à Islamabad, une autre arrivée en France à la faveur d’un visa enfin délivré après des mois d’attente - la générosité de la France en faveur des femmes afghanes ayant fui leur pays reste extrêmement parcimonieuse. Au mieux quelques dizaines d’entre elles ont obtenu un visa d’asile sur des milliers forcées de quitter leurs familles, interdites de travail, d’études, de ressources, et menacées dans leur vie par la fureur et l’obscurantisme des talibans.

Beaucoup de ces Afghanes, ciblées à double titre comme femmes et comme journalistes, juges, avocates, défenseures des droits humains et des droits des femmes, artistes ou intellectuelles, ont franchi la frontière de pays voisins, pour se rendre au Pakistan et en Iran surtout, où les plus chanceuses ont obtenu un visa local de séjour aujourd’hui expiré ou en voie de l’être. Dans l’impossibilité de travailler, donc de subvenir à leurs besoins, souvent seules, chargées de familles ou enceintes, elles subissent cet exil dans des conditions indignes, privées de tout, et sous la menace d’un renvoi en Afghanistan.

Beaucoup ont cru que la France, encore auréolée à l’étranger de son prestige de "pays des droits de l’Homme", pourrait constituer une terre d’accueil. Et elles ont déposé une demande d’asile, pleinement justifiée par les risques encourus dans l'Afghanistan sous contrôle des talibans.

Pourtant, rares sont les pays occidentaux à faire aussi peu que la France pour ces femmes... Les exemples de l'Allemagne, de l'Espagne, du Danemark, du Canada, ou encore de l'Australie en attestent.

L’attitude de notre gouvernement face à ces appels au secours, auxquels le Président Macron s’était engagé à répondre en août 2021, est plus que frileuse : elle est indigne. Les représentations consulaires, ou les officines qui en tiennent lieu, mettent des mois pour accorder un rendez-vous à ces réfugiées afin de constituer les dossiers de visa, elles exigent l’achat de billets d’avion de retour -alors que celui-ci est exclu !- ou la preuve de moyens de subsistance en France, ou l’engagement de familles à les accueillir… allant parfois jusqu’à assimiler, par erreur nous assure-t-on, ces demandes d’asile à de simples demandes de visas touristiques.

L'examen des dossiers en termes de sécurité par les services français du ministère de l'Intérieur retarde le processus, nous-dit-on, au point que pour certaines, cela prend plus d'un an !... Quant au résultat, il reste aléatoire, même quand toutes ces exigences sont remplies. Nombreux sont les rendez-vous qui demeurent sans réponse, et les refus ne sont jamais notifiés, encore moins justifiés...

La réunification familiale pour les Afghanes qui attendent de rejoindre leurs conjoints réfugiés en France souffre des mêmes aléas et lenteurs. Ces femmes ont droit à un visa long séjour, un droit acquis dès le premier jour de la reconnaissance de la qualité de réfugié de leur mari. Et pourtant dans nombre de cas, la délivrance de ce visa se transforme en un parcours du combattant, semés d'obstacles administratifs et de bras de fer avec l'Etat qui ne trouvent leur conclusion heureuse que grâce aux jugements des tribunaux administratifs.

Alors au-delà de quelques dizaines de dénouements favorables obtenus surtout grâce au soutien d’organisations et à la générosité de particuliers, l’accueil des Afghans et surtout des femmes afghanes en France, reste très en deçà de ce que la situation exige.

C’est pourquoi, plus de 18 mois après la prise du pouvoir par les talibans en Afghanistan, nous, syndicats, organisations professionnelles, associations de solidarité internationale, et de droits des femmes, demandons une nouvelle fois au gouvernement français qu’il mobilise ses représentants en France et dans les pays voisins de l'Afghanistan, qu’il en exige efficacité et diligence, en leur donnant les moyens et les consignes nécessaires, et qu’il agisse sans ambiguïté en France pour donner à ces réfugiées un accueil matériel et social digne de ce qu’elles sont en droit d’attendre de la France et des promesses de nos gouvernants.

Signataires

  • Jérôme Gavaudan, Président du Conseil national des barreaux
  • Patrick Baudoin, Président de la Ligue des droits de l'Homme (LDH)
  • Anthony Bellanger, Secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes (FIJ)
  • Kim Reuflet, Présidente du Syndicat de la magistrature
  • Ludovic Friat, Président de l'Union syndicale des magistrats (USM)
  • Shukria Haidar, Présidente de l'association Negar - Soutien aux femmes d'Afghanistan
  • Ariane Mnouchkine, Directrice du Théâtre du Soleil
  • Emmanuel Poupard, Premier secrétaire du Syndicat national des journalistes (SNJ)
  • Vanina Rochiccioli, Présidente du Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI)
  • Mathias Venet, Secrétaire général du Groupe Accueil Solidarité
  • Nordine Drici, Directeur du cabinet d'expertise et de conseil ND Consultance
  • Agnès Devictor, Enseignante-Chercheuse Paris 1 Panthéon-Sorbonne