17 mars 2025

Point d'étape sur la PPL Narcotrafic

Libertés et droits de l'homme

Le Sénat a adopté en février la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. À l'issue des débats, 87 amendements ont été adoptés dont plusieurs impliquent d'importantes modifications dépassant largement le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants. Il est notamment question d'un amendement du Gouvernement, créant des quartiers de lutte contre la criminalité organisée, dont le principe même et les modalités de mise en oeuvre constituent un contournement de la procédure d'isolement existante et une atteinte aux droits des personnes détenues.

Parmi les principales évolutions du texte, il existe un amendement du gouvernement qui vise à compléter les moyens dont dispose l'administration pénitentiaire en créant des quartiers de lutte contre la criminalité organisée, dotés de modalités de gestion de la détention adaptées aux profils très spécifiques des personnes détenues, concernées, qui bénéficient de moyens financiers, logistiques et humains importants.

Le régime de détention qui s'y applique inclut les mesures suivantes, lesquelles contribueraient à renforcer « l'étanchéité » de ces quartiers : 

  • Systématisation des fouilles intégrales après tout contact « physique » avec l'extérieur ;
  • Mise en œuvre de parloirs avec dispositif de séparation, moyennant des adaptations pour les visites de mineurs afin de leur permettre des contacts physiques ;
  • Impossibilité de bénéficier d'unités de vie familiale et de parloirs familiaux, lesquels se déroulent en dehors de la surveillance continue du personnel pénitentiaire ;
  • Limitation des modalités et plages horaires d'accès à la téléphonie, pour permettre une écoute en temps réel des conversations. 

Les personnes détenues concernées seront affectées dans ces quartiers sur décision motivée du garde des sceaux, contradictoire, valable pour une durée de quatre ans et renouvelable. Le CNB émet de vives réserves tant sur le principe que sur les modalités de mise en oeuvre du dispositif proposé.

S'agissant du principe même du dispositif, le CNB s'interroge sur la conventionnalité du dispositif proposé en ce que l'éloignement géographique inhérent à la création d'un établissement unique, ou de deux établissements, situés l'un et l'autre dans le nord et l'ouest de la France, constitue une atteinte grave au droit au respect à la vie privée et familiale des détenus concernés. 

Par ailleurs, le CNB est attaché au principe de la séparation, en détention, des personnes incarcérées pace que détenues à titre provisoire et les personnes détenues parce que définitivement condamnées ; les premières sont présumées innocentes alors que les secondes s'inscrivent déjà dans un parcours d'exécution de peine. 

S'agissant ensuite des modalités, il existe déjà un régime juridique de l'isolement des personnes détenues en France. Acteurs et experts s'accordent à constater que ce régime a des conséquences massives non seulement sur les droits des personnes détenues (absence d'accès aux activités, au travail...) mais surtout sur leur santé physique et psychique. À défaut, le dispositif proposé paraît manquer de précision, d'intelligibilité et de clarté.

C'est la raison pour laquelle un tel régime est aujourd'hui encadré par des garanties, en particulier des délais brefs et une procédure contradictoire à laquelle participe un médecin. 

Actuellement, le régime de l'isolement ne peut excéder 3 mois sans réexamen. 

Le régime applicable aux détenus particulièrement signalé (DPS), moins attentatoire aux droits des personnes détenues que l'isolement ou que le régime spécifique envisagé par la PPL, est quant à lui applicable pour une durée d'un an maximum. 

Le projet du Gouvernement n'apparaît dès lors que comme un contournement des règles existantes. En outre, si les annonces gouvernementales semblent ne viser que le spectre haut des trafiquants, rien n'indique dans la loi que ce dispositif ne s'appliquera pas à une quantité extrêmement importante de personnes, du haut au bas du spectre de la délinquance, condamnés ou encore présumés innocents. Il convient dès lors de préciser les incriminations pour lesquelles un tel régime est applicable. 

La mise en place de telles restrictions pour une durée de 4 an constitue un recul particulièrement grave, dont il convient d'interroger la constitutionnalité et la conventionnalité. Pour cette raison, le CNB est favorable à un encadrement strict de la durée de l'affectation qui ne pourra dépasser 3 mois sans un réexamen complet de la situation de la personne intéressée, ce délai correspondant à celui d'ores et déjà fixé pour l'affectation des personnes détenues dans les quartiers d'isolement de chaque établissement. 

Par ailleurs, il n'est pas admissible qu'une décision d'affectation dans un quartier de lutte contre la criminalité organisée, lourde de conséquence sur les droits des personnes, soit prise par le seul garde des Sceaux et ne se trouve pas soumise à l'avis conforme de l'autorité judiciaire pour les personnes poursuivies. En cela, la proposition de rédaction de l'article 224-5 apparait contraire au principe de séparation des pouvoirs.

Il apparait, par ailleurs, nécessaire que la décision d'affectation soit également soumise à l'avis conforme du juge de l'application des peines pour les condamnés ayant déposé une requête et dans l'attente de l'examen de leur situation par la juridiction de l'application des peines.

Le régime de fouille systématique en cas de contact « physique » avec une personne extérieure prévu à l'article 224-8, ce incluant les avocats des personnes affectées à un quartier de lutte contre la criminalité organisée, est manifestement disproportionnées et contraire à la jurisprudence de la CEDH applicable aux fouilles qui doivent être motivées. Voir en ce sens Frérot c/ France du 12 juin 2007 (Requêtes n° 70204/01) concernant la pratique de fouille intégrale systématique après chaque parloir. 

Les restrictions au dispositif de correspondance téléphonique paraît également disproportionné au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et des droits de la défense des personnes concernées qui n'auraient plus accès à la « cabine » qu'à des jours ou des heures déterminées. Cela apparait en outre comme un recul majeur dans l'histoire du droit des personnes détenues à la correspondance et aux efforts fournis depuis des années par l'administration pénitentiaire pour équiper l'ensemble des établissements « cabine » en cellule et des dispositifs d'écoute et surveillance efficients. 

Enfin, malgré les déclarations du gouvernement sur la conventionnalité du dispositif similaire applicable en Italie, il paraît important d'apporter quelques nuances : en Italie, la loi n° 279 du 23 décembre 2002 rend permanent le régime spécial de détention de l'article 41 bis. Il est désormais appliqué pour une période de 4 ans, renouvelable indéfiniment pour 2 ans.

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